La récente négociation dans le secteur public fédéral aurait donné lieu à une entente concernant le télétravail qui permet trois jours de travail à distance et impose dorénavant aux gestionnaires le devoir d’évaluer au cas par cas les demandes supplémentaires de télétravail.

Radio-Canada a rapporté le 1er mai les propos du vice-président exécutif du Congrès du travail du Canada qui a précisé que cette entente doit permettre aux employés d’avoir un recours si un supérieur exige leur retour au travail, alors qu’ils estiment être en mesure d’effectuer aussi efficacement leur travail à distance qu’en présentiel.

En bref, en privilégiant une prépondérance de travail à distance et en ouvrant la porte à une évaluation des demandes supplémentaires de travail à domicile, le gouvernement fédéral aura négligé de considérer les effets du travail à distance sur le cadre urbain et sur les finances publiques des villes où sont situés ses bureaux. De plus, cette entente contribuera à l’étalement urbain, une des causes de la crise climatique qu’il dit pourtant vouloir combattre.

Il est à espérer que le gouvernement du Québec, qui doit intensifier prochainement ses négociations avec ses employés, tiendra davantage compte des impacts du télétravail sur les citoyens des villes de centralité et sur ses engagements en développement durable.

À en croire le président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), Christian Daigle, ce ne sera pas aisé. Il a déclaré au lendemain du règlement fédéral que malgré des avancées intéressantes pour le télétravail, il souhaitait aller beaucoup plus loin avec Québec.

Notons d’abord qu’en raison du télétravail, les taux d’inoccupation des bureaux ont augmenté. La réduction des superficies louées, la sous-location d’espaces en surplus et la vente de propriétés gouvernementales affaibliront davantage la valeur foncière des immeubles de bureaux et entraîneront une diminution de l’impôt foncier versé par ce secteur immobilier dans les coffres municipaux.

Ensuite, avec une perte d’achalandage des employés de bureau, les commerces à proximité connaissent déjà un recul. Comme pour les bureaux, la ponction fiscale foncière du commercial diminuera. En plus, on constatera une détérioration de l’offre de services commerciaux, ce qui affaiblira l’attrait économique des grands centres.

Afin de compenser la baisse des revenus résultant de la diminution des valeurs des immeubles abritant les bureaux et les commerces en centralité, les décideurs municipaux seront forcés d’aller chercher une contribution foncière accrue dans le résidentiel. Les personnes résidant à l’écart des centres et qui considèrent ne pas être concernées par le résultat de la négociation actuelle pourraient subir les contrecoups du phénomène du télétravail. Le fardeau sera d’autant plus lourd que ces édifices supportent un poids fiscal beaucoup plus lourd que ne le fait le secteur résidentiel.

Et c’est sans compter l’élan d’étalement urbain qui accompagne le télétravail. Dorénavant une tout autre pression financière s’exercera pour la réalisation de nouvelles infrastructures publiques liées entre autres au transport, à l’eau et aux écoles, au bénéfice de ceux qui auront adopté le télétravail hors des grands centres urbains ou dans des milieux de faible densité.

Du même coup, comme les infrastructures que nous avons déjà payées en centralité accueilleront moins d’usagers, il y aura nécessairement une perte nette de rendement de nos contributions antérieures.

Les villes de Gatineau et de Québec sont celles qui seront le plus affectées par les décisions du fédéral et éventuellement du provincial. Selon une analyse du groupe Altus pour le compte de l’Institut de développement urbain du Québec, 90 % des immeubles de bureaux du centre-ville de Gatineau appartiennent au gouvernement. Au centre-ville de Québec, cette proportion est de 34 % et à Sainte-Foy, de 14 %. À ces chiffres, il faudrait ajouter les superficies louées par les gouvernements.

Cela dit, si les capitales sont les premières visées, les autres milieux urbains seront aussi affectés. Par exemple, au centre-ville de Montréal, déjà touché par un important taux d’inoccupation, 5 % des superficies de bureaux sont de propriétés gouvernementales. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les choix gouvernementaux influenceront les attentes et les demandes des travailleurs du privé. On peut craindre un effet boule de neige fragilisant des zones d’emplois importantes même là où l’empreinte gouvernementale est faible.

Que faire maintenant

D’abord, souhaitons que le gouvernement fédéral et ses employés utilisent le recours individuel au droit au télétravail avec parcimonie. Déjà, la prédominance du travail à distance est problématique. Puis, espérons que le gouvernement provincial n’ignorera pas les impacts fiscaux, sociaux et environnementaux d’une reconnaissance trop large du télétravail lors de la négociation à venir.

Le travail en mode hybride est bien enraciné et il faut bien admettre que lorsque la « prédominance bureau » est respectée, ses conséquences sont moins dramatiques que si un droit au télétravail généralisé est concédé. Mais encore, cela ne signifie pas que nous devons subir les effets négatifs sans tenter d’en réduire la portée.

Nous croyons que les gouvernements devraient se préoccuper de la situation financière des capitales et des centres urbains. Plusieurs moyens pourront être mis à contribution à cet effet. Par exemple, les décideurs publics devraient d’abord affirmer le caractère économique des centres-villes. Qui plus est, ils pourraient favoriser leur densification notamment par un allègement des redevances et des divers frais ainsi que par différentes mesures de soutien à la requalification ou à la transformation de secteurs centraux à potentiel de développement d’ensembles résidentiels. Bien d’autres outils peuvent être imaginés, car ce qui est maintenant incontournable pour nos dirigeants, c’est d’agir pour assurer la vitalité économique des centres, maximiser l’usage des infrastructures déjà payées et éviter de renforcer la vague d’étalement urbain.

Le télétravail s’exerce individuellement, mais ses impacts collectifs ne doivent pas être ignorés.

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