En 2018, dans un geste spectaculaire, les élus municipaux de la MRC de la Vallée de la Gatineau avaient loué des autobus pour se présenter, avec plusieurs dizaines de citoyens, au conseil d’administration du CISSS de l’Outaouais (CISSSO).

Ils voulaient dénoncer, d’une part, l’absence de cadres ayant un réel pouvoir décisionnel dans les établissements du CISSSO de la MRC (ils étaient tous situés à Gatineau) et, d’autre part, les difficultés de communication entre les communautés locales et le CISSSO, un méga établissement de santé ayant 12 000 employés, un budget de 970 millions et un territoire de 33 456 km2, territoire plus grand que toute la Belgique. Beau symbole : ils avaient dû faire deux heures de route pour se rendre au conseil.

Le ministre Christian Dubé veut s’attaquer à ces deux enjeux partout au Québec : chaque installation locale aurait un gestionnaire sur place (je ne peux pas croire que les libéraux de jadis aient pu penser que c’était une bonne idée d’abolir ces postes-là !) et il y aurait des représentants des communautés locales, dont des élus municipaux, dans les conseils d’établissement.

Après 20 ans de reculs, les régions pourraient-elles espérer reprendre un peu de contrôle des mains des jacobins du ministère de la Santé1? Il y a de l’espoir.

Mettons d’abord une chose au clair : si vous croyez que les villes ne devraient pas se mêler de santé, vous avez du rattrapage à faire.

Le Réseau québécois des villes et villages en santé, fondé il y a près de 40 ans, compte 225 municipalités membres représentant plus de 85 % de la population québécoise (l’organisme qui le chapeaute s’appelle aujourd’hui Espace MUNI). Localement, ce réseau prend souvent la forme d’une table de concertation des partenaires du milieu, table coordonnée par la ville, dont l’objectif est de faire en sorte que tous prennent des décisions qui favorisent la santé (transport actif, environnement, loisirs, activités communautaires, etc.).

Ce n’est pas tout. Au moins 660 municipalités et 27 MRC ont des politiques familiales. Presque toutes les villes du Québec, plus de 1000, participent au programme Villes amies des aînés. Toutes les très grandes villes, et plusieurs autres, ont une politique en itinérance et un nombre grandissant de villes sont actives en sécurité alimentaire.

En matière de prévention et de promotion de la santé, les villes sont aujourd’hui absolument incontournables et elles sont des alliées naturelles des CISSS.

L’idée de faire une place à des élus municipaux dans la gouvernance du réseau est excellente. Fait intéressant pour le ministre, dans les municipalités/MRC, il y a généralement déjà un élu responsable des dossiers de santé.

Défi important : il y a 67 municipalités en Outaouais, 77 dans les Laurentides, 177 en Montérégie… Qui pourra siéger aux futurs conseils d’établissement? Comment se fera la sélection des membres? À qui les membres choisis rendront-ils des comptes? Devant ces difficultés, le ministre ne ferme pas la porte à pousser l’idée plus loin2, comme le propose l’ancien ministre Michel Clair. Il pourrait établir un « comité conseil » pour chaque installation du réseau (CHSLD, CLSC, hôpitaux, etc.) ou encore mieux, selon moi, pour les territoires pour lequel les gens ont un réel sentiment d’appartenance (probablement les territoires des CLSC).

Le mandat et les pouvoirs de ces comités conseils sont encore à définir. À première vue, les dirigeants des établissements y rendraient des comptes, en toute transparence. Par exemple, ils y feraient des portraits de la situation sanitaire sur le territoire ou encore le suivi de certains indicateurs de la performance de l’établissement (accessibilité, satisfaction). Les dirigeants pourraient même s’en servir pour demander de l’aide à la communauté locale pour relever les défis auxquels ils sont confrontés. L’hyper centralisation a toujours nui à ce travail d’équipe, les uns et les autres ne se connaissant parfois même pas.

L’apport d’un élu municipal dans ces discussions pourrait être considérable. Il est branché sur sa communauté, il a la légitimité de parler pour elle, et sa ville a une capacité d’action.

Évidemment, il y a encore beaucoup de questions sans réponse. Quelle sera la vraie marge de manœuvre de l’établissement pour s’adapter à ce que la communauté dira, est-ce que le Ministère continuera de prendre toute la place, etc. ? Quoi qu’il en soit, la réflexion commence sur une bonne prémisse : il faut rapprocher le réseau des gens qu’il dessert.

En 2018, peu de temps après l’intervention des élus de la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau, le PDG a été remercié et, après un projet pilote, le CISSO a affecté des gestionnaires à des territoires précis. Grâce à sa capacité d’exprimer sa volonté, la communauté avait fait bouger le méga établissement. On peut espérer que, grâce à un dialogue constant avec la communauté, pareils gestes d’éclat ne seront plus nécessaires.

1 Durant la Révolution française, les jacobins favorisaient la centralisation du pouvoir à Paris, dans les mains de technocrates. Ils s’opposaient au régionalisme.

2. Lisez l'article « Décentralisation en santé : Christian Dubé songe à ajuster sa réforme »