En plus d’amorcer les consultations sur sa réforme, le ministre Christian Dubé a fait adopter deux « pièces maîtresses » de son Plan santé. Entrevue avec le ministre de la Santé.

(Québec) Accusé de mener une opération de centralisation, le ministre Christian Dubé envisage d’ajuster sa réforme en créant des comités de surveillance locaux composés, entre autres, d’élus municipaux, afin d’« aller plus loin » dans la reddition de comptes à la population.

Le ministre de la Santé assure également ne pas avoir l’intention de mettre la hache dans les centaines de comités d’usagers du réseau de la santé et des services sociaux, a-t-il affirmé en entrevue à La Presse après deux jours de consultations sur son imposant projet de loi 15.

La décentralisation promise par M. Dubé a été au cœur des travaux alors que la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, et l’ex-président de la commission d’enquête qui a passé le réseau de la santé au crible en 2000, Michel Clair, ont invité le ministre à faire un pas de plus pour parler « de véritable décentralisation » ⁠1.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

J’haïs ça, le débat à savoir si c’est de la vraie ou pas de la vraie décentralisation. Ce que je veux, c’est de la vraie gestion de proximité.

Christian Dubé, ministre de la Santé

En ce sens, il se dit très intéressé par la suggestion de l’auteur du rapport Clair qui a soumis mercredi l’idée de constituer un « conseil de surveillance et d’alliance communautaire » dans chaque MRC ou territoire de CLSC pour les grandes villes.

Ces comités, qui « parleraient » pour les populations locales, pourraient regrouper des élus des MRC et des représentants d’organismes « majeurs » de la communauté, comme des entreprises d’économie sociale et de la chambre de commerce, a expliqué M. Clair.

Cela viendrait ainsi « ramener » une instance de proximité, un élément manquant de la réforme Dubé, selon lui. Ce comité aurait un pouvoir de recommandation et pourrait faire le bilan au directeur de l’hôpital.

« Il a eu une très bonne suggestion », souligne Christian Dubé. « Pour aller plus loin dans […] la reddition de comptes », fait-il valoir.

Michel Clair a raconté pour illustrer son propos qu’un PDG d’un CIUSSS de la grande région de Montréal lui a confié n’avoir appris le nom du directeur général de la Ville que pendant la pandémie.

Gestion de proximité 

« Ça m’a vraiment titillé », soutient M. Dubé, qui a confié réfléchir à « trouver les bons intervenants et élus municipaux » pour en être la base.

« Pour moi [ce qui est important], c’est : est-ce qu’on va assez loin pour que la personne sur le terrain, et parfois ça peut être le maire, [puisse ramener l’information]. Le maire peut entendre par exemple que son GMF [Groupe de médecine de famille] est fermé le dimanche… C’est ça, de la gestion de proximité », illustre-t-il.

La réforme Dubé prévoit l’abolition des conseils d’administration des CISSS et des CIUSSS, et leur remplacement par des conseils d’établissement, qui feront une reddition de comptes au patron de Santé Québec dans la région.

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Le ministre de la Santé, Christian Dubé

Les CISSS et CIUSSS s’appelleront désormais Santé Québec, en incluant la désignation territoriale, par exemple Santé Québec-Estrie.

Ces nouveaux comités de surveillance le feraient en revanche pour le directeur local d’une installation, comme d’un hôpital ou d’un CLSC. Le projet de loi de M. Dubé a promis de ramener des gestionnaires locaux tenus de rendre des comptes dans toutes les installations du réseau.

La constitution de ces comités viendrait ainsi « crédibiliser » le rôle des nouveaux directeurs et leur donnerait « une légitimité d’action autre que seulement hiérarchique », a plaidé M. Clair.

Joanne Castonguay allait dans le même sens, s’interrogeant sur leur « réelle marge de manœuvre » dans la mouture actuelle de la réforme.

Comité d’usagers

Le Conseil pour la protection des malades et le Regroupement provincial des comités des usagers (RPCU) ont exprimé la crainte de voir disparaître, avec la création de Santé Québec, les comités d’usagers dans les installations où l’on prodigue des soins⁠2.

Le texte législatif prévoit qu’un comité des usagers soit institué pour chaque établissement de Santé Québec et non un par hôpital ou CLSC.

« Ils avaient la perception qu’on voulait se limiter à seulement un comité d’usagers par établissement […], mais non, on peut faire des sous-comités », a nuancé M. Dubé en entrevue, indiquant que le RPCU représente quelque 540 comités d’usagers dans la province.

Je n’irai pas me priver de 500 comités s’ils sont fonctionnels et que ça va bien. Mais je veux que ce soient des sous-comités qui vont se rapporter au comité d’établissement.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Le projet de loi 15 – une brique de 300 pages et de plus de 1200 articles – vise à rendre plus efficace le système de santé avec la création de Santé Québec, une nouvelle société d’État où sera centralisé le volet opérationnel du Ministère, qui lui se concentrera sur les orientations.

La réforme vient faire de Santé Québec l’unique employeur du réseau, fusionne l’ancienneté syndicale et forcera les médecins spécialistes à une « responsabilité populationnelle » 3.

Dubé veut éviter un fiasco comme à la SAAQ

Après une première version morte au feuilleton en raison d’un embouteillage parlementaire, le nouveau projet de loi 3 visant à accroître l’accès aux données en santé – cette fois piloté par le ministre Éric Caire – a été adopté à la fin mars. Cette nouvelle loi est nécessaire au déploiement du fameux Dossier santé numérique (DSN), qui doit permettre aux Québécois d’avoir accès à l’ensemble des informations au même endroit. Le contrat pour l’acquisition de la solution technologique doit être scellé à l’automne (avec un an de retard en raison de l’annulation du premier appel d’offres). Un projet pilote sera d’abord déployé dans deux établissements, soit le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. « C’est ce qu’on appelle l’approche agile, pas un bing bang comme à la SAAQ », soutient M. Dubé, qui affirme que l’implantation à l’échelle de la province prendra « cinq, six ans ».

Vers la fin des agences de placement 

Autre pièce législative importante pour le ministre, le projet de loi 10 visant à éliminer le recours aux agences de placement dans le réseau de la santé a été adopté mardi⁠4. Le gouvernement Legault veut se sevrer de la main-d’œuvre indépendante d’ici 2026. À Montréal, Québec et Laval, l’échéance a été fixée pour décembre 2024. « Ça va être interdit d’utiliser de la main-d’œuvre indépendante », résume M. Dubé. Les exceptions devront être autorisées par le ministre lui-même. Pour les régions mitoyennes, comme l’Estrie et la Montérégie, le délai est 2025, et 2026 pour les régions éloignées telles la Côte-Nord et l’Abitibi-Témiscamingue. La liste des régions doit être établie par règlement d’ici un mois, tout comme les tarifs maximums qui seront imposés aux agences. Si une agence ne les respecte pas, elle sera assujettie à des pénalités financières. M. Dubé espère ramener les quelque 11 000 travailleurs des agences dans le réseau public et freiner l’exode.

1. Lisez « Réforme Dubé : la décentralisation au cœur des débats » 2. Lisez « Réforme du réseau de la santé : des groupes s’inquiètent d’une diminution de la présence citoyenne » 3. Lisez « Efficacité du réseau de la santé : la réforme Dubé est déposée » 4. Lisez « Main-d’œuvre indépendante : Québec veut abolir le recours aux agences privées d’ici 2026 »