(Québec) Christian Dubé a déposé mercredi sa vaste réforme visant à rendre plus efficace le mammouth du réseau de la santé par la création d’une toute nouvelle société d’État, Santé Québec, qui coordonnera le volet opérationnel. Le ministre de la Santé va plus loin : il veut obliger les médecins spécialistes à en faire plus et libérer le réseau du « carcan syndical ».

Le ministre Dubé a déposé mercredi le projet de loi 15 visant à rendre le système de santé et des services sociaux plus efficace. Le texte législatif de quelque 300 pages comporte plus d’un millier d’articles qui viennent modifier de fond en comble la Loi sur la santé et les services sociaux. Il touche à 35 lois.

« Tout ce qui était nécessaire pour être capable de faire les changements […] est là-dedans », a fait valoir le ministre de la Santé, en soulignant que son Plan santé pour redresser le réseau a été déposé il y a un an, jour pour jour. « On est rendu à la bonne place », a ajouté M. Dubé en conférence de presse avec le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant, et la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger.

Le projet de loi vient créer Santé Québec, une société d’État qui coordonnera tout le volet opérationnel de l’imposant ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Le ministère pourra se concentrer sur la définition les grandes orientations et son rôle de planification.

Il s’agit d’une recommandation du rapport Clair, qui remonte à plus de 20 ans et qu’aucun gouvernement n’a voulu mettre en place. En Chambre, mercredi, le premier ministre François Legault s’est d’ailleurs vanté d’avoir le « guts » nécessaire pour opérer de grandes réformes.

Il faisait référence aux propos de l’ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette, qui a affirmé cette semaine à La Presse que l’ex-premier ministre Philippe Couillard avait à l’époque « choké » devant la grogne des syndicats. M. Barrette, qui a applaudi les informations qui avaient filtré sur la réforme Dubé, a d’ailleurs prédit une « troisième guerre mondiale » dans les prochains mois.

« Les Québécois ont dit clairement que le statu quo n’était pas acceptable. Il n’y aura pas de guerre, on va travailler ensemble et on va réussir », a lancé le ministre Dubé à son arrivée au Salon bleu, mercredi.

« Quelle grande journée pour le réseau de la santé avec le dépôt de ce projet de loi important et historique », a de son côté affirmé M. Legault au sortir du Salon bleu.

Création de Santé Québec

Santé Québec aura son président, ses vice-présidents et un conseil d’administration, comme Hydro-Québec. Le premier ministre Legault avait d’ailleurs utilisé l’image « Hydro-Santé » pour illustrer les visées du ministre Dubé. L’agence sera assujettie à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État. Le siège sera basé à Québec. Le futur grand patron sera un homme ou femme qui « connaît les opérations », a dit M. Dubé.

Une fois en place, les 34 directeurs généraux des CISSS et CIUSSS se rapporteront directement à Santé Québec et non plus à des conseils d’administration locaux ou à la sous-ministre en titre du ministère de la Santé et des Services sociaux. Les acronymes CISSS et CIUSSS tomberont pour faire place à la désignation territoriale comme Santé Québec-Estrie, par exemple.

Le PDG de Santé Québec ainsi que le président du conseil d’administration seront nommés par le gouvernement Legault. Le conseil d’administration procédera ensuite à la nomination des vice-présidents.

La pandémie a révélé de graves lacunes dans la gouvernance du réseau de la santé. Les rapports d’enquête de la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, et de la sous-ministre à la Santé, Dominique Savoie, recommandaient que le ministère se concentre sur la planification. Santé Québec aura le mandat d’élaborer un programme national sur la qualité des services.

Santé Québec deviendra le seul employeur du personnel du réseau de la santé et des services sociaux, « ce qui diminuera la bureaucratie, évitera les dédoublements et facilitera les relations entre les travailleurs et leur employeur », souligne le gouvernement dans des documents explicatifs. Le réseau compte par exemple 34 employeurs, ce qui signifie autant de services de paie distincts.

Les conseils d’administration des établissements de santé seront remplacés par des conseils d’établissement qui réuniront des patients, des représentants des milieux communautaires, de la recherche et de l’enseignement, des affaires et du monde municipal. Selon Québec, cette organisation deviendra « la voix du terrain » dans l’objectif de rapprocher le réseau de leur collectivité.

Un comité national des usagers sera d’ailleurs créé pour améliorer les pratiques à travers le Québec.

Ramener des gestionnaires de proximité

Le ministre Dubé veut également embaucher plusieurs centaines de gestionnaires, dont des cadres intermédiaires, pour que chaque établissement de santé, CLSC comme hôpital, ait un directeur imputable. L’ex-ministre libéral Gaétan Barrette a lui-même reconnu qu’il avait aboli trop de cadres intermédiaires dans sa réforme, qui a forcé le départ de près de 1300 gestionnaires en 2015.

Dans le budget Girard, Québec a réservé 60 millions sur deux ans pour la création de l’agence Santé Québec. Une partie de ces sommes serviront d’ailleurs à pourvoir ces nouveaux postes de gestionnaires.

Le réseau compte quelque 1600 installations. Le gouvernement Legault a déjà réembauché des gestionnaires en CHSLD après la première vague de la pandémie. Le nombre de nouvelles embauches n’a pas été précisé mercredi puisque dans certains cas, on pourrait parler d’ajouts de pouvoir à des cadres en poste. Québec assure qu’il n’est pas question d’abolir des postes.

Bras de fer avec les spécialistes

Dans sa réforme, Christian Dubé veut obliger les médecins spécialistes à prendre davantage en charge les patients partout sur le territoire, incluant dans des régions et des hôpitaux délaissés.

Comme pour les médecins de famille, les spécialistes seront soumis à des obligations de prise en charge pour améliorer l’accès aux soins. Ils devront offrir une meilleure disponibilité aux urgences et accepter des horaires défavorables, comme le révélait La Presse lundi. On parle alors « d’activités médicales particulières » qui seront liées au permis de pratique des médecins.

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a dénoncé mercredi la « méthode contre-productive » du ministre Dubé et une « attitude de confrontation » du MSSS. Selon la FMSQ, le gouvernement Legault « profite » de son projet de loi « pour y insérer des mesures ayant une incidence directe sur les conditions de pratique des médecins spécialistes ».

« On n’est pas ici pour chercher des coupables », a fait valoir Christian Dubé, qui n’a pas voulu préciser les spécialités où il s’attend à un coup de barre. Selon lui, ses visées n’auront pas d’effets sur « la grande majorité » des spécialistes, mais que d’autres devront en faire plus.

Fusion de l’ancienneté syndicale

La réforme Dubé prévoit de libérer le réseau du « carcan syndical » en fusionnant l’ancienneté syndicale des employés de tout le Québec. La centralisation des opérations dans l’agence Santé Québec aura pour effet de fusionner les conventions collectives locales. Au lieu de 136 tables de négociation actuelles avec les syndicats, la loi les fera passer à seulement quatre tables nationales.

On parle d’une organisation syndicale nationale pour chacune des quatre catégories d’emplois. Par exemple, la catégorie 1 inclut le personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires.

« Ce qu’on souhaite, c’est de la collaboration des syndicats. Tout le monde devrait être d’accord […] avec le fait qu’il faut changer l’organisation du travail, il faut décentraliser. Moi, j’espère que ça va bien aller », a lancé François Legault mercredi, en se rendant au Salon bleu.

Par cette modification, il sera donc possible pour des travailleurs de la santé de se déplacer d’un établissement à l’autre sans perdre leur ancienneté. La mobilité des employés, encadrée par les conventions collectives, permettra la création d’une banque de personnel volontaire, comme une agence publique de placement ou équipe volante, qui pourra intervenir où les besoins se font sentir.

Ce qu’ils ont dit

Est-ce que son projet de loi va réussir à avoir un impact sur la qualité des soins que les Québécois reçoivent ? C’est la question que tout le monde qui est concerné par le projet de loi doit se poser.

André Fortin, député du Parti libéral

On est sur le gros gros nerf, tout le monde est sur le gros nerf. Les médecins, les gestionnaires, le personnel soignant. Tout le monde est sur le gros nerf parce que le ministre nous a préparés mentalement à avoir un cataclysme dans le réseau. Je pense que c’est la dernière affaire dont ce réseau-là a besoin en ce moment.

Vincent Marissal, député de Québec solidaire

C’est la phase deux du plan Barrette, et on sait ce que ça a donné. Est-ce qu’on veut continuer dans le même sens ? Au-delà des épithètes, si la philosophie derrière la réforme qui est présentée aujourd’hui, c’est celle de continuer l’œuvre de Gaétan Barrette, je pense qu’on est mal barré au Québec.

Joël Arseneau, député du Parti québécois

Avec Tommy Chouinard, Francis Vailles et Hugo Pilon-Larose