Malgré la diminution des cas de COVID-19 et la mise sur pied d’une cellule de crise, les salles d’urgence de la province ont été fort occupées en 2023-2024. La durée moyenne de séjour s’est élevée à 17 h 26 pour l’ensemble des hôpitaux de la province, qui obtiennent la note de C+ dans notre classement.

Le dernier palmarès des urgences de La Presse avait été publié en 2018-2019, un an avant la COVID-19. L’exercice avait été mis sur la glace par la suite, la situation pandémique changeant la donne. Nous reprenons cette année sa publication. Le constat : si la performance des urgences s’est améliorée en 2023-2024 par rapport à l’année précédente, elle est en régression par rapport à l’époque prépandémique.

Consultez notre palmarès des urgences

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La situation dans les urgences est actuellement pire qu’à l’époque prépandémique.

Sur les 84 salles d’urgence de la province, 57 se retrouvent actuellement dans une situation pire qu’il y a cinq ans, selon notre palmarès. La durée moyenne de séjour dans les urgences, soit le nombre d’heures que le patient passe sur civière aux urgences avant d’obtenir son congé, d’être hospitalisé ou d’être orienté ailleurs, est plus importante qu’avant la pandémie, mais en baisse par rapport à 2022-2023.

En entrevue avec La Presse, le ministre de la Santé, Christian Dubé, affirme « ne pas être au niveau souhaité » du côté des urgences. Il explique être en train d’opérer des « changements de fond » dans le réseau de la santé dont les effets seront visibles dans les prochaines années. Déjà, il voit dans les données des urgences une « tendance positive ». Car « le portrait des personnes qui se présentent aux urgences a vraiment évolué » depuis cinq ans, dit-il. Les patients sont plus vieux et plus malades.

Malgré ces enjeux, on a non seulement stabilisé la situation, mais on s’est améliorés.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Le ministre se réjouit de cette amélioration et maintient l’objectif d’atteindre une durée moyenne de séjour de 15 heures en 2025-2026.

Président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le Dr Gilbert Boucher affirme que le Québec tarde à retrouver ses performances d’avant la pandémie, notamment parce qu’il manque de personnel dans les hôpitaux. « On a encore 1000 lits d’hospitalisation de fermés à cause de ça », dit-il.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr Gilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Avant la pandémie, il y avait parfois des périodes creuses dans les urgences. Plus maintenant.

Le Dr Gilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec, la Dre Judy Morris souligne que le palmarès des urgences reflète surtout « la performance globale des hôpitaux » et du réseau de la santé. « Beaucoup d’initiatives ont été prises dans la dernière année pour améliorer la situation. Mais la bataille n’est pas gagnée », dit-elle.

Dans son plan stratégique 2019-2023, le gouvernement visait à réduire à 14 heures la durée moyenne de séjour sur civière dans ses urgences pour 2023-2024 (cette cible est de 8 heures au Canada). Disant vouloir se fixer des objectifs « plus réalistes », le ministre Christian Dubé les a révisés en décembre dernier pour viser une durée moyenne de séjour de 17 heures pour 2023-2024. L’objectif de 14 heures, qui était presque atteint en 2018-2019, est reporté à 2026-2027 soit huit ans plus tard.

M. Dubé dit avoir ajusté les cibles pour « tenir compte de la réalité ». « Ce n’est pas vrai qu’on peut viser 12 heures », affirme-t-il.

Des lits engorgés aux étages

Le 12 avril, 11,59 % des lits d’hôpital de la province étaient occupés par des patients en « niveau de soins alternatifs » (NSA). Ces personnes n’ont plus besoin de soins hospitaliers, mais attendent une place d’hébergement en CHSLD ou en soins à domicile, par exemple, pour obtenir leur congé. Le gouvernement vise un taux de 8 % de patients NSA. Plus les lits sont engorgés aux étages, moins il est possible d’y transférer des patients des urgences et plus l’attente aux urgences augmente. Selon la Dre Morris, le nombre de patients NSA « diminue depuis quelques mois ».

Malgré tout, la proportion des séjours de 48 heures ou plus sur civière aux urgences dans la province atteint 6,3 % cette année contre 2,9 % avant la pandémie et 7,4 % l’an dernier.

On a besoin d’un meilleur accès aux lits aux étages.

Le Dr Gilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Pour y arriver, le Dr Boucher propose notamment d’améliorer encore plus l’offre de soins à domicile.

Moins d’otites, plus d’aînés

Après une baisse d’achalandage durant la pandémie, les urgences québécoises recommencent à recevoir beaucoup de patients.

Mais les cas mineurs sont moins présents, selon le Dr Boucher.

Il n’y en a plus, des patients faciles […] Je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai vu un mal de gorge ou d’oreilles aux urgences.

Le Dr Gilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Le Dr Boucher attribue cette situation à un meilleur accès à la première ligne et à la réorientation des cas mineurs des urgences vers des cliniques.

Les patients de 75 ans et plus qui se présentent aux urgences sont de plus en plus nombreux. Ils ont représenté 30,8 % de toutes les consultations en 2023-2024 contre 28,1 % il y a cinq ans. « L’augmentation des patients âgés peut sembler faible, mais ça demande beaucoup plus de ressources aux urgences », note le Dr Boucher.

[Les patients âgés] ont plus de comorbidités. Et parce qu’il manque souvent de soins à domicile, on les garde plus longtemps.

La Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec

Pour obtenir les notes apparaissant au palmarès, notre équipe de journalistes, qui a bénéficié de l’expertise de Pierre Meslin, du service des sciences des données de La Presse, a tenu compte de différents critères, dont la durée moyenne de séjour sur civière aux urgences, et pondère ces résultats en fonction de certains facteurs, comme le nombre d’hospitalisations et la proportion des personnes âgées de 75 ans et plus. Cette méthodologie a un impact sur les résultats.

Par exemple, l’hôpital Anna-Laberge présente l’une des plus longues durées moyennes de séjour aux urgences de la province (31 heures). Mais parce que sa clientèle est très âgée (40,2 % de patients de 75 ans et plus) et très lourde (taux d’hospitalisation de 36,5 %), l’établissement est tout de même parvenu à maintenir ses performances cette année.

Au contraire, l’Hôpital général de Montréal présente une durée moyenne de séjour un peu moins longue (24,8 heures), mais sa clientèle est beaucoup moins âgée (20 % de patients de 75 ans et plus) et moins lourde (taux d’hospitalisation de 23,5 %). Si bien que la performance de l’établissement est la pire au classement. Depuis deux ans, le taux de séjours de 48 heures et plus aux urgences a pratiquement doublé par rapport aux années précédentes dans cet établissement.

Selon la porte-parole du CUSM, Annie-Claire Fournier, de nombreux patients séjournent très longtemps aux urgences de l’hôpital général de Montréal, car ils « attendent une hospitalisation pour des problèmes de santé mentale ». Aux étages de l’hôpital, 30 % des lits de santé mentale sont occupés par des patients NSA.

Le manque de lits aux étages se manifeste partout au CUSM et s’explique par la pénurie de personnel, par le manque de lits en CHSLD et en réadaptation dans la communauté et par le fait que depuis le déménagement du CUSM au site Glen en 2015, « une centaine de lits ont été enlevés du permis du CUSM, diminuant ainsi notre capacité à accueillir davantage de patients tandis que la quote-part pour la réception d’ambulances n’a pas changé », note Mme Fournier.

Les régions des Laurentides, de la Montérégie et de l’Outaouais sont celles qui ont présenté les plus fortes durées moyennes de séjour cette année. Des secteurs qui enregistrent d’importantes croissances de populations, note le Dr Boucher. Longtemps élève modèle du palmarès, l’Hôpital général juif à Montréal a connu une année plus difficile. Le nombre de visites est en forte croissance dans cet établissement. « Même avec le meilleur système, si tu doubles la demande, tu n’y arriveras pas », dit le Dr Boucher.

Avec la collaboration de Thomas de Lorimier, La Presse

Deux hôpitaux universitaires montréalais, deux réalités

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L’hôpital Royal Victoria du CUSM enregistre la plus longue durée moyenne de séjour de la province.

En plus de l’Hôpital général de Montréal qui a connu une dure année, l’hôpital Royal Victoria du CUSM enregistre la plus longue durée moyenne de séjour de la province cette année (31,67 heures). La situation particulière de cet hôpital universitaire avait été présentée en 2022 par La Presse. Au contraire, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) voit ses performances s’améliorer. « Il y a beaucoup d’efforts au CHUM pour éviter que les patients ne transitent par les urgences », affirme le Dr Boucher.

Lisez « Le CUSM plein à craquer », reportage publié en 2022

Donner congé plus vite aux patients

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

En 2023-2024, les patients sur civière aux urgences qui attendaient d’être hospitalisés ont attendu en moyenne plus de 25 heures.

En 2023-2024, les patients sur civière aux urgences qui attendaient d’être hospitalisés y ont attendu en moyenne 25 heures 35 minutes au Québec. Pour les patients ne requérant pas d’hospitalisation, le séjour a été de 11 heures 09 minutes. « Ce n’est pas nécessairement les urgences qui ne performent pas bien, mais tout l’établissement », dit la Dre Morris. Pour elle, « on garde encore trop de patients dans les hôpitaux qui n’ont pas besoin d’y être ». Elle cite l’exemple des patients en attente d’une intervention chirurgicale qui pourraient retourner dormir à la maison, mais qu’on garde hospitalisés pour pouvoir les opérer plus rapidement. Certains patients sont aussi gardés à l’hôpital pour passer des tests, comme des examens par résonance magnétique, plus vite. « On doit trouver une façon de ne pas garder ces patients », dit-elle.

Les absents

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

L’Institut de cardiologie de Montréal

Les hôpitaux psychiatriques, pédiatriques et spécialisés, comme l’Institut de cardiologie de Montréal, ne figurent pas au palmarès de La Presse, car leur mission particulière rend difficile toute comparaison avec les hôpitaux généralistes.