(Québec ) La décentralisation promise dans la réforme Dubé a été au cœur de débats au premier jour des consultations sur l’imposant projet de loi 15. Christian Dubé doit établir la réelle marge de manœuvre des futurs gestionnaires locaux, qu’il rendra imputables, croient la Commissaire à la santé et au bien-être et l’ex-ministre Michel Clair.

Bien qu’il veuille rendre les gestionnaires du réseau de la santé imputables, le ministre Christian Dubé doit clarifier la « contrepartie de l’imputabilité » et établir leur réelle marge de manœuvre, a fait valoir Joanne Castonguay mercredi. La Commissaire à la santé et au bien-être a ouvert le bal des consultations parlementaires sur le projet de loi 15 du ministre de la Santé.

Bien que très favorable à la création de Santé Québec – une toute nouvelle société d’État qui viendra coordonner tout le volet opérationnel du Ministère –, Mme Castonguay a émis certains bémols sur l’autonomie future des établissements de santé.

« La décentralisation de la responsabilité et de l’imputabilité vers les décideurs locaux revient beaucoup dans le discours gouvernemental entourant le projet de loi », a d’ailleurs noté la commissaire. Or, malgré l’intention du ministre Dubé « de décentraliser la prise de décision vers les établissements, le projet de loi ne confère pas le volet “opérationnel” » aux établissements, mais plutôt à Santé Québec », souligne-t-elle.

Par ailleurs, le texte législatif ne précise pas la « contrepartie de l’imputabilité », c’est-à-dire la marge de manœuvre dont disposeront les décideurs locaux. Dans sa réforme, le gouvernement Legault veut ramener des centaines de gestionnaires de proximité – un pour chaque installation, hôpital comme CLSC.

On peut se demander dans quelle mesure les gestionnaires locaux disposeront de l’autonomie nécessaire pour atteindre les objectifs qui leur seront exigés des autorités centrales.

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

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MMichel Clair, ancien président de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux, lors des auditions publiques sur le projet de loi n° 15

L’ex-président de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux et ex-ministre péquiste, Michel Clair, a émis des interrogations semblables.

« Cette mesure [d’ajouter un gestionnaire par installation] est bienvenue, mais ce n’est pas de la décentralisation, c’est davantage de la déconcentration, encore il faille décider quel sera le véritable pouvoir décisionnel de ce nouveau directeur », a souligné l’auteur du rapport Clair.

Il propose en revanche, pour opérer une véritable décentralisation, de créer des « conseils de surveillance […] qui seraient constitués à l’échelle des 95 territoires et communautés des anciens CLSC ».

La réforme Dubé vient abolir les conseils d’administration des établissements pour les remplacer par des conseils d’établissements, qui réunira des patients et des acteurs du milieu. Les organisations proposées par Michel Clair seraient en dessous de ces conseils d’établissement et permettraient une reddition de compte très locale, a-t-il expliqué.

L’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux demande aussi à ce que les rôles et responsabilités de chaque instance soient « clairement définis ». L’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux demande notamment que le projet de loi soit amendé pour limiter les « pouvoirs d’intervention directe » du ministre dans la gestion quotidienne des établissements.

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Guylaine Leclerc, vérificatrice générale du Québec, discute avec Christian Dubé, ministre de la Santé.

Surveillance du privé

La Vérificatrice générale du Québec a dit voir un « risque de limitation du contrôle et de la surveillance parlementaire » des établissements de santé privés alors que le texte législatif stipule que les soins de santé et des services sociaux seront fournis par des établissements publics et privés. MGuylaine Leclerc a fait état des obstacles rencontrés par le passé pour avoir accès aux données du privé.

Elle a cité les entreprises ambulancières. Avec la création de Santé Québec, les ressources intermédiaires, les cliniques médicales ou encore les résidences privées pour aînés vont conclure des ententes de fonctionnement, a-t-elle rappelé.

« Il est important de s’assurer que le Vérificateur général aura la possibilité de vérifier adéquatement l’utilisation des fonds publics par ces établissements. C’est seulement ainsi que je pourrai jouer pleinement mon rôle de favoriser le contrôle parlementaire au moyen d’audits financiers et d’audits de performance », a expliqué Mme Leclerc.

Un travail « titanesque », dit Dubé

Plusieurs critiques ont été émises depuis le dépôt du projet de loi à la fin mars au sujet de la décentralisation proposée et de l’imputabilité du ministre. L’opposition accuse le ministre Christian Dubé de vouloir se déresponsabiliser de ce qui se passe dans le réseau en créant Santé Québec, dont le PDG sera imputable.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Santé Christian Dubé

« Je pense qu’on va parler beaucoup de décentralisation », a exprimé le ministre à son arrivée en consultations. « La décentralisation, on va avoir la chance de l’expliquer aux Québécois, ça veut dire aussi d’être capable d’aller proche du terrain, d’être capable de se rapprocher d’eux pour savoir ce qu’ils veulent », a-t-il assuré. M. Dubé a assuré que son projet de loi est perfectible et qu’il est ouvert à l’amender.

« On s’embarque dans un travail titanesque », a lancé le ministre en ouverture des consultations. Le projet de loi 15 est une brique de quelque 300 pages qui contient plus de 1200 articles. Tous les partis d’opposition ont offert leur collaboration au ministre, mercredi. Christian Dubé demeure optimiste que le texte législatif pourrait être adopté d’ici la fin de la session parlementaire en juin.

Une quarantaine de groupes seront entendus en commission parlementaire, qui se tient jusqu’au 19 mai avec une pause de deux semaines pour l’étude des crédits.