Avec le dépôt du projet loi créant l’agence Santé Québec survenu le 29 mars dernier, le ministre Christian Dubé entreprend la neuvième réforme des services de santé depuis le rapport Castonguay-Neveu qui date de 1972. Cela fait 50 ans que nous sommes à la recherche de la structure et du mode de fonctionnement qui permettront de répondre le plus efficacement possible aux besoins de la population en ce qui concerne à la fois les services de santé et les services sociaux.

Actuellement, les deux réseaux comprennent 137 établissements régionaux (dont 22 CISSS et CIUSSS) et 1450 installations de services employant environ 300 000 personnes. Le ministère de la Santé est responsable de la gestion de l’ensemble des services et le gouvernement est d’avis que cette approche ne permet pas « une cohérence optimale ». Il faut, selon les experts, revoir la gouvernance du système, car le ministère est trop éloigné des opérations et « ses décisions ne reflètent pas toujours la réalité vécue par les gestionnaires et les employés sur le terrain ». C’est un bilan de gestion qui est jugé inacceptable.

L’objectif global de la réforme que le gouvernement entreprend est d’accroître l’efficacité pour améliorer les soins et diminuer le temps d’attente aux urgences et pour les interventions chirurgicales. La gestion du fonctionnement au quotidien sera confiée à l’agence, qui sera une société d’État. « À l’instar d’une organisation dynamique et simplifiée », l’agence sera dirigée par un président et chef de direction ainsi qu’un conseil d’administration qui devra rendre des comptes. Le Ministère n’aura plus aucune responsabilité directe sur la gestion des réseaux. Il s’occupera dorénavant uniquement de la planification et de l’évaluation des politiques.

La loi permettra de mettre en place « les outils qui favorisent une plus grande gestion de proximité ». Un gestionnaire sera nommé dans chacun des hôpitaux. Mais au lieu qu’il y ait 34 employeurs comme actuellement, l’agence sera l’employeur unique pour tous les services de santé et les services sociaux, ce qui diminuera la bureaucratie relative à la gestion du personnel. L’objectif est d’avoir moins de disparité et d’iniquité dans le réseau.

En fin de compte, le gouvernement veut rehausser la satisfaction des usagers qui reçoivent des services en donnant « aux gestionnaires les leviers nécessaires pour développer une culture axée sur les résultats ». On veut notamment mettre en place au sein d’un hôpital ou d’un établissement un Conseil interdisciplinaire d’évaluation des trajectoires et de l’évaluation clinique. Le conseil d’administration de l’agence aura également un Comité national de vigilance et de qualité qui aura pour mandat d’analyser de gérer les plaintes et les recommandations qui viendront des autres instances du système ou du gouvernement.

Où sont les documents qui justifient ce bouleversement ?

Le gouvernement s’apprête ainsi à bouleverser l’organisation et le fonctionnement d’un des secteurs les plus importants de la société sur la base d’un discours de gestion idéaliste qui sera impossible à réaliser. Mais où sont les documents qui donnent une justification minimum aux choix qui sont faits ? Est-ce qu’on peut connaître les témoignages des experts sur la gouvernance ? Quand on essaie d’analyser et de comprendre l’ensemble du projet de réforme, on ne sait plus à la fin ce qui est prioritaire pour le fonctionnement du système des services de santé et des services sociaux pour les 10 prochaines années.

A-t-on fait un bilan de la gestion commune des services de santé et des services sociaux à l’intérieur des CISSS et des CIUSSS ? Si oui, ne serait-il pas plus approprié d’avoir une agence séparée dont l’organisation et le fonctionnement seraient mieux adaptés à ce type de services ? Sinon, le nom devrait être changé pour l’agence de Santé et des Services sociaux du Québec.

Au-delà d’une redéfinition des structures, ce que le gouvernement propose, « c’est un changement de culture à long terme » pour « que les gestionnaires aient les coudées franches afin de prendre les bonnes décisions en fonction de ce que vivent leurs patients et leurs employés ».

Mais en réalité, à court terme, ce dont les gestionnaires ont le plus besoin, ce sont plus d’employés et plus de lits d’hôpitaux pour faire face à la demande croissante de soins. Si ces deux problèmes étaient réglés, est-ce que le problème de gouvernance qui est évoqué se poserait de la même façon ?

Le gouvernement a pour priorité d’améliorer la gestion de proximité, mais il peut déjà le faire immédiatement en exigeant que tous les points de service soient sous la responsabilité d’un directeur général assisté d’une équipe adéquate. Quand on fait le décompte de la mise en place de la nouvelle société, il y aura du ministre au gestionnaire local une structure hiérarchique probable d’au moins six niveaux, allant du PDG de l’agence Santé Québec, aux vice-présidents de l’agence, au PDG des établissements qui sont des filiales de l’agence et à leurs directeurs sectoriels et ensuite aux niveaux hiérarchiques des unités de soins. Comment peut-on nous assurer qu’il y aura une véritable gestion de proximité ?

Il reste un dernier point à souligner, à savoir comment le Ministère pourra accomplir son rôle de planification quand la loi donne à l’agence le pouvoir de déterminer l’allocation interrégionale des ressources (article 93 du projet de loi) et qu’elle aura l’obligation (article 99) de préparer elle-même un plan stratégique expliquant les enjeux, les objectifs, les résultats visés à moyen terme et les indicateurs qui permettront de juger sa performance ? Aussi bien dire que le Ministère sera aboli, même en ce qui concerne la planification et l’évaluation des politiques.

Devant des conditions économiques, financières et sociales qui seront problématiques à moyen terme, les chances de succès d’une réforme qui veut implanter une nouvelle culture de gestion en créant une société d’État sont faibles. Le gouvernement doit trouver une autre approche plus pragmatique pour améliorer le fonctionnement du système. Le projet de loi actuel est démesuré et irréaliste.

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