Le discours en faveur de l’établissement de lieux de prière dans les écoles repose pour beaucoup sur le désir de bonne entente. C’est un argument avancé notamment par des leaders religieux.

Pierre Murray, secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, en disait ceci dans Le Journal de Québec : « […] que des enfants se réunissent pour jouer aux échecs dans une salle, pour faire du yoga, pour faire de l’improvisation ou pour prier, ce sont des activités sociales qui sont égales ». L’imam Hassan Guillet2, dans La Presse, parlait d’une « tempête dans un verre d’eau ».

Les deux ont tort. Profondément tort.

Nous ne parlons pas de jeu d’échecs, mais de religion : la religion est une force qui transforme le monde, pas toujours pour le mieux. On comprend messieurs Guillet et Murray de faire de l’aveuglement volontaire à ce sujet, ils prêchent pour leur paroisse, mais l’État, lui, ne peut pas se le permettre.

Faisons d’abord un petit portrait de ce qui se passe dans le monde avant de revenir dans nos écoles.

Pour les droits des femmes, les pires pays au monde sont des théocraties, des États où les religieux gouvernent, comme en Iran, en Afghanistan ou en Arabie saoudite. En Israël et en Turquie, les religieux démontrent que le progrès n’est pas inéluctable, ils font reculer leurs sociétés.

Aux États-Unis, quand on parle des dérives de la droite, on oublie souvent l’adjectif « religieuse » pour la définir. C’est à cause de l’emprise des mouvements religieux sur la droite que le droit à l’avortement recule, que l’accès à la pilule abortive est limité, que les droits des minorités sexuelles sont attaqués, que le rapport à la sexualité est tordu, que la définition de la famille est préhistorique, que des livres sont bannis. Le Canada anglais n’échappe pas à cette mouvance3.

Partout dans le monde, quand les droits des femmes reculent, la religion n’est pas loin.

C’est à cause de l’Église que les Québécoises ont été les dernières en Amérique du Nord à avoir le droit de vote. Si le Québec n’avait pas rejeté l’Église avec autant de force, la Révolution tranquille n’aurait pas eu lieu. Ce qu’on a appelé « la grande noirceur » est un fait d’abord religieux.

Dans l’organisation que représente l’évêque Murray, il n’y a pas de prêtresses. Il n’y a pas de papesse. Son organisation est contre la contraception, contre l’avortement, contre les droits des minorités sexuelles. Les pratiques et les dogmes de l’Église catholique sont fondamentalement sexistes.

C’est la même chose dans la religion musulmane que représente l’imam Guillet. Dans une mosquée, les hommes et les femmes ne sont pas soumis aux mêmes règles. En matière d’héritage, de divorce ou encore de « pudeur », les droits des uns et des autres diffèrent.

Les prises de position politiques des autorités musulmanes ressemblent souvent à celles des catholiques. Les pratiques et les dogmes de la religion musulmane sont, eux aussi, fondamentalement sexistes.

Je pourrais parler de la religion juive ou encore des différents types de protestantisme. Il y a des variantes, il y a des degrés, mais la situation des femmes et des minorités sexuelles y sont généralement les mêmes4.

Évidemment, le bilan des religions n’est pas que négatif, mais les exemples ci-haut devraient nous inciter à nous en méfier et, surtout, à bien définir la place que l’État leur fait ou ne leur fait pas, notamment à l’école5.

Nous assistons, en Occident du moins, à un grand retour du religieux. L’instrumentalisation des chartes des droits et libertés ainsi que de l’idée de diversité par les organisations religieuses pour accentuer la présence de la religion dans les institutions publiques est une réalité bien documentée. Un collectif de femmes tunisiennes favorables à la laïcité appelait cette réalité un « grignotage religieux »6. Il faut combattre ce mouvement.

Permettre l’installation d’un local de prière dans une école, porter un signe religieux, ou souligner les fêtes religieuses (comme le font bien des politiciens) sont toutes des prises de position sur le fait religieux. Ce ne sont pas des gestes neutres, ce sont des concessions à ce « grignotage » qui menace des valeurs importantes.

Non, l’enjeu des salles de prière n’est ni une tempête dans un verre d’eau ni équivalent à une séance de yoga. C’est le devoir de l’État de protéger la laïcité, sans quoi l’égalité hommes-femmes, les droits des minorités sexuelles ou encore la liberté de ne pas croire pourraient très bien devenir les sacrifiés de la bonne entente.

1. J’ai emprunté le titre de cette chronique à un livre du même nom qui porte sur les francophones du Pontiac, dont une partie a été assimilée parce que le gouvernement et l’Église ont laissé des prêtres anglophones orangistes (aujourd’hui, on dirait racistes) appliquer en territoire québécois une loi ontarienne interdisant l’enseignement du français (le règlement 17). Fascinante histoire.

2. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « Les curieux partages de Hassan Guillet » 3. Lisez le texte d’opinion « L’influence des lobbys religieux au Canada »

4. À lire : Tristane Banon, Le péril Dieu. Toutes les religions sont sexistes.

5. Relisez la chronique de Maxime Pedneaud-Jobin « La religion, c’est l’inverse de l’école » 6. Consultez la lettre d’opinion « Choisir une société laïque »