La religion catholique que j’ai connue enfant avait encore des prétentions à influer sur le cours des choses politiques québécoises. Mais elle avait perdu son pouvoir, son prestige, sa superbe et la plupart de ses fidèles.

C’était après la messe en latin, après la mainmise catholique sur l’éducation francophone, après les collèges classiques. Pensez qu’avant Roger Gaudry, en 1965, tous les recteurs de l’Université de Montréal étaient des « monseigneurs ».

La Révolution tranquille avait vidé les églises et depuis les Cyniques, preuve était faite qu’il n’y avait plus rien d’iconoclaste à rire des curés ; les icônes avaient volé en éclats.

Les rares clercs qui m’ont enseigné avaient rangé leur soutane, comme le père Jean-Baptiste Genest, disciple de Marie-Victorin, pédagogue passionné de « sciences naturelles » qui avait intégré le réseau public quand son « collège » pour garçons avait été transformé en « école secondaire » mixte. J’aime les oiseaux grâce à lui.

Mon père, 15e de 16 enfants, et ma mère, 2e de 9, avaient des frères et sœurs dans « les ordres », comme tant de familles québécoises. Des femmes et des hommes qui étaient parmi les plus talentueux, les plus instruits de leur famille. On pourrait dire de mes tantes qu’elles auraient pu être PDG, si elles étaient nées 50 ans plus tard. C’est souvent ce que les gens disent maintenant pour tenter d’exprimer leur admiration devant l’intelligence et l’intrépidité de ces femmes qui souvent parlaient trois ou quatre langues, conduisaient des jeeps dans la brousse pour faire des accouchements, dirigeaient des dispensaires, allaient enseigner dans des installations de fortune. Peut-être bien que oui, remarquez bien. Mais c’est passer à côté du sens profond de cet engagement.

Quand une de mes tantes est morte à 98 ans, je m’étais rendu dans ce grand couvent de Québec aux planchers luisants où elle a fini ses jours. Je me souviens de ces centaines de têtes blanches en recueillement pour le départ d’une de leurs sœurs. Une de plus.

Toutes ces vies consacrées au service des autres, des plus mal pris le plus souvent. J’ai pensé surtout qu’on a oublié cet apport humain gigantesque à notre société.

Une des choses les plus indécentes qu’il m’ait été donné de voir est le musée du Vatican, témoin de siècles d’exploitation. Mais ce n’est pas le clergé qui vit dans des palais épiscopaux.

L’autre jour, ma mère m’a dit qu’une autre de ses sœurs – à 90 ans passés – avait maintenant pour la première fois de sa vie dans son couvent sa propre salle de bain.

J’ai l’impression qu’on n’a retenu du catholicisme que l’abus de pouvoir du clergé, le colonialisme, les actes criminels et la complaisance tout aussi criminelle des dirigeants à l’endroit des pédophiles et des agresseurs sexuels.

Oui, ça fait beaucoup d’éléments de preuve à charge.

Aussi, je ne fais pas ici un éloge général de la religion catholique. Quand Mathieu Bock-Côté écrit que « le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture de la solidarité qui nous distingue à l’échelle continentale », je me demande de quoi il parle. Il y avait dans l’Église des courants progressistes, mais étouffés par le conservatisme des dirigeants. Pour un Mgr Charbonneau qui soutenait les syndicats catholiques contre le pouvoir duplessiste, combien d’évêques archiconservateurs ?

Le Québec se distingue de bien des manières à l’échelle continentale, mais cette idée que la solidarité sociale est distinctive, ou mieux encore « catholique », ne tient pas la route. Le mouvement coopératif dans le monde rural dans l’Ouest canadien a encore des échos aujourd’hui – le NPD en est issu. Bien des idées politiques « progressistes » de Pierre Trudeau étaient défendues par son mentor Frank Scott, un des fondateurs du futur NPD, et fils d’un prêtre anglican de Québec. Le mouvement syndical nord-américain est également marqué par de nombreux militants juifs. Et si la « solidarité » rimait avec catholicisme, comment expliquer les politiques sociales en Scandinavie, et les inégalités sociales profondes dans plusieurs pays d’Amérique latine ?

À moins que l’on parle de la « solidarité nationale » : la langue gardienne de la foi, et la foi gardienne de la langue, comme disait l’adage. Le pacte avec le pouvoir « anglais » a certainement contribué à la survivance des « Canadiens français ». Il faudrait peut-être rappeler que pour mener à bien cette entreprise de survie nationale, l’Église a procédé à l’expropriation du corps des femmes. Encore la semaine dernière, un homme de 82 ans me disait que sa mère avait failli mourir après son septième accouchement. Le médecin lui a interdit d’avoir d’autres enfants. Mais le curé de Rosemont lui a interdit la confesse quand il a vu qu’elle avait « empêché la famille ». Elle était vouée à une vie en enfer. Elle a eu deux autres enfants. Puis deux fausses couches. Elle n’a pas perdu la foi. Mais son fils a les curés de tout acabit en sainte horreur, pour ainsi dire.

Ce n’est pas pour rien que les Québécois catholiques ont perdu leur religion, comme le chantait REM. Disons plutôt qu’ils s’en sont libérés.

Ce qu’on a vécu si intensément demeure en soi. Quand tout le calendrier est marqué de fêtes religieuses pendant des siècles, il en reste quelque chose. Le paysage du Québec, comme mon paysage intérieur, est marqué à jamais par la religion catholique. Le langage, les récits bibliques, la vie de Jésus, des valeurs du christianisme sont inscrits en moi à perpétuité, même si je ne pratique pas, même si je ne crois pas et ne participe pas à ces rites.

Avec le passage du temps, ce qui a déjà été pour moi enfant un envoûtement ressemble à des superstitions et à des simagrées. Mais c’est en moi. Je suis un catholique culturel.

Le premier ministre a « retweeté » le texte de MBC, et s’est fait tomber dessus pour cet accroc à la laïcité dont il veut être le champion1.

Je l’ai écrit souvent : je suis opposé à « la loi 21 » sur les signes religieux, qui est pour moi un parfait exemple de « catho-laïcisme » : au nom de la neutralité, on affecte surtout les « autres » religions, c’est-à-dire l’islam.

Mais la neutralité de l’État et l’égalité juridique de toutes les religions n’effacent pas l’histoire. Il n’est pas interdit de souligner politiquement le patrimoine religieux dominant, l’apport des religieux, ni même d’en dire quelque chose de bien le jour de Pâques.

Ça ne mérite pas une excommunication.

1. Lisez le texte « Un gazouillis de Legault sème la controverse »