Pas mal toutes les indications qui nous parviennent de Québec disent la même chose : le gouvernement Legault envoie des signaux qu’il commence à vouloir reculer sur l’une de ses promesses phares : le tunnel entre Québec et Lévis, mieux connu comme le troisième lien.

Il y a des signes qui ne mentent pas : on ne parle plus du projet dans la version 2023-2025 des infrastructures routières alors qu’il y était l’an passé. Ça n’indique pas nécessairement une décision finale, mais c’est tout de même un signe.

Les phrases des ministres contiennent de plus en plus de « mais », comme dans : « C’est sûr que le projet de troisième lien est important et qu’on continue de pousser là-dessus. Mais il faut donner du temps au temps… », disait cette semaine la ministre Martine Biron.

Les études s’en viennent, mais sont toujours remises un peu plus tard. « Avant l’été assurément », disait la ministre des Transports, Geneviève Guilbault. Notons que l’été commence le 21 juin à 10 h 57 (heure du Québec), soit, commodément, deux semaines après l’ajournement de l’Assemblée nationale.

Mais surtout, on sent l’exaspération de certains ministres qui ont passé la dernière campagne électorale à défendre un projet qui était devenu un « crois ou meurt » pour les candidats de la CAQ. Comme dans « si vous reposez la question, la réponse sera la même », comme le disait le ministre Bernard Drainville cette semaine. On est rendus loin de son « lâchez-moi avec les GES » de la dernière campagne électorale.

Par ailleurs, la nouvelle mouture du projet qui circule actuellement, avec un des deux tubes qui serait consacré exclusivement aux transports en commun, n’est pas la solution.

En fait, ça ressemble plutôt à une ultime tentative d’obtenir du financement du gouvernement fédéral, qui a déjà dit qu’il ne financerait pas un projet autoroutier. Mais si Ottawa dit toujours non, il est pas mal évident que Québec ne voudra pas – même ne pourrait pas – se retrouver seul à payer.

De toute façon, de plus en plus, il devient clair que le coût politique de l’abandon du projet ne serait pas si élevé pour le gouvernement Legault.

Le troisième lien est populaire sur la Rive-Sud, mais beaucoup moins à Québec même. Mais les électeurs de Chaudière-Appalaches votaient pour la CAQ quand elle s’appelait l’ADQ. On ne voit pas tellement vers qui ils pourraient se tourner, vu l’offre politique actuelle. Et même si ça devait coûter quelques sièges aux prochaines élections dans plus de trois ans, quand on en a 90, ce n’est pas une tragédie.

Il y a aussi un argument de santé publique. La qualité de l’air est un enjeu dans les quartiers Limoilou, Vanier et Basse-Ville, comme l’ont démontré plusieurs rapports. Or, c’est là qu’aboutirait le troisième lien. C’est un problème qui est particulièrement important pour le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, qui est député du coin et aussi, informellement, le ministre fédéral responsable de la région de Québec.

Un autre argument est celui de la congestion et du télétravail. On attend une nouvelle étude à ce sujet, mais on note toujours une baisse de la congestion sur les ponts actuels. En fait, il faut tenir compte du fait que le gouvernement est le principal employeur de la région de la Capitale-Nationale et que ses propres politiques sur le télétravail auront un effet sur la congestion.

Il ne serait pas trop logique de réduire les possibilités de télétravail des fonctionnaires pour ensuite se servir de l’argument de la congestion pour justifier le troisième lien.

Enfin, il y a l’enjeu des finances publiques. Le projet est estimé de 6 à 10 milliards de dollars. C’est beaucoup. Aux fins de comparaison, le pont Samuel-De Champlain – le plus achalandé au Canada – aura coûté 4,2 milliards de dollars (et sans doute un peu plus quand la démolition de l’ancien pont sera achevée).

Avec un déficit de 4 à 5 milliards de dollars, selon le dernier budget, auquel il faudrait ajouter les baisses des contributions au Fonds des générations, est-ce que le Québec a vraiment les moyens de se lancer dans ce projet ? Surtout qu’on n’a pas encore d’études très sérieuses sur les coûts, et qu’on sait que les projets de ce type ont tendance à devenir de véritables gouffres financiers.

Ça commence à faire très lourd comme dossier. Assez pour se demander si le gouvernement ne devrait pas prendre le conseil de ce vieux renard de la politique qu’était Jean Chrétien, dont l’une des maximes célèbres s’applique parfaitement à la situation actuelle : « Quand on s’est peinturés dans le coin, on marche sur la peinture ».

Parce qu’il vaut toujours mieux faire marche arrière pendant qu’il est encore temps que de s’engager dans des projets exorbitants qu’on n’est pas tout à fait certains de pouvoir mener à bien.