Commençons par un peu de name dropping ou de « lâcher de noms », comme l’indique mon traducteur. Par un gros titre parce que j’avais encore besoin d’attention. Un ex-politicien comme moi, ça peut vivre des petites crises, des phases en manque de public.

J’ajusterai ma posologie.

Oui, j’ai soupé avec Joe Biden, vendredi dernier à Ottawa. Mais bon, ce n’était pas exactement un tête-à-tête, nous étions quelques-uns, disons à peu près 300. Presque intime.

Je vous en parle parce que j’ai décidé de m’y rendre en train, pour savoir, parce que je n’avais jamais dépassé Montréal sur les rails.

Québec n’est pas devenu Blanc-Sablon ou Nairobi, mais pour le transport aérien à l’intérieur du pays, ça se complique, avec souvent des horaires de vol rock and roll, à des prix disproportionnés, et parfois des détours par Yellowknife, ou presque.

À classer dans les produits de luxe pour le citoyen moyen.

Le train : la tournée du laitier. Plus de 11 heures au total, aller-retour. Une dizaine de stations, alors que des clients n’embarquent pratiquement qu’à Québec, Montréal et Ottawa. Mais du personnel impeccable.

Oui, il y a le bus, je sais…

Pour ne pas pogner les nerfs, je me suis refusé d’aller vérifier combien cela m’aurait pris de temps avec un TGV.

On en est là avec le monopole d’Air Canada, qui sait tuer la concurrence, et parce qu’on n’a pas encore décidé de prioriser le train très rapide. En plus des tocades de gens qui pensent que l’économie libérale créera naturellement la concurrence, et fera le travail sur la mobilité.

Tentez de vous rendre en Gaspésie, ou ailleurs, en périphérie du Québec, et vous m’en donnerez des nouvelles. À désespérer.

En région, demandez à un médecin spécialiste de Montréal, ou de Québec, de venir vous donner un coup de main, et tentez de lui organiser du transport aérien en maximisant son temps.

Mission presque impossible.

Il perdra le goût d’aller vous aider, et s’évaporera aux abonnés absents. Et là on parle de la santé des gens, pas de vacances aux îles de La Madeleine, ou d’un voyage de pêche au saumon sur la Cascapédia.

Je participe à deux évènements là-bas dans les prochaines semaines : à Grande-Vallée et à Carleton-sur-Mer.

À Grande-Vallée, un évènement qui a lieu un dimanche. Ma seule option valable est de partir de Québec le vendredi matin, et de repartir de Gaspé en fin de journée le lundi. Donc, quatre jours pour une journée de travail.

Heureusement que leur invité est retraité, et que nous serons dans la saison du homard, avec une ou deux bouteilles de blanc pour oublier…

Pour Carleton, exactement le même parcours. Mais au moins, il s’agit d’un colloque de deux, trois jours. Mais je perds complètement ma journée de lundi. Dans mon cas, le temps est moins de l’argent qu’avant, heureusement, sinon j’en ferais une maladie !

Et on me dit en plus là-bas que des vols sont souvent annulés sans qu’on sache pourquoi. Misère !

Évidemment on peut toujours conduire, mais on parle d’une méchante trotte ! Deux jours aller-retour. Ça nous avance à quoi, malgré l’effort ?

Tentez d’attirer chez vous, en région, un investisseur, un médecin, un enseignant, de jeunes diplômés, une jeune famille, de la main-d’œuvre en général, si la mobilité est déficiente.

Vous êtes dans la gadoue jusqu’aux oreilles.

Je répète que dans les premières pages du grand précis d’économie, il est sûrement écrit qu’une des bases du développement économique est la capacité de transporter les biens et les personnes.

Quelqu’un aurait le goût de discuter de développement économique régional ? On rigole ou quoi ?

Et le programme machin, qui donne des réductions de prix sur le billet d’avion ? Ça ne marche pas !

Comme la présence des sympathiques petites entreprises de transport aérien, que le gouvernement souhaite voir grossir. Ce ne sera pas demain la veille, si ça arrive un jour…

Bien sûr, si nous n’étions pas au printemps, j’aurais pu réfléchir à un rallye de motoneige pour me rendre dans la péninsule, mais c’est raté.

J’ai le goût d’hérésie. Mais pour qu’il y ait hérésie, il doit exister un dogme.

Ce dogme, c’est encore une fois de croire que le système de libre concurrence réussit tout, comme par magie.

Et l’hérésie : à une époque, le Québec possédait une entreprise aérienne publique, qui s’appelait Québecair. Oui, elle était déficitaire, mais le Québec régional avait l’impression de vivre dans un pays normal, et fonctionnel.

L’économie n’est pas qu’une science comptable. Elle est aussi et surtout une affaire de vision. On serait prêt à investir combien pour la mobilité dans les régions, afin qu’elles se développent normalement, et augmentent par la bande les revenus fiscaux des gouvernements ?

Quel est le rôle de l’État, finalement ?

Qu’est-ce qui peut tuer une région, sinon une pénurie d’humains, parce qu’il est difficile de se faire soigner, d’étudier, de se déplacer ?

Bien sûr, on peut orienter tous les investissements vers Bécancour, Montréal ou Québec. Mais on fait quoi avec le reste du territoire ?

Bon, suffit !

Finalement, le président Biden avait bonne mine et Justin rayonnait.

Vrai qu’il ne rajeunit pas, le prez. On a l’impression qu’il chambranle un peu, et on espère que le cognitif tienne le coup encore cinq, six ans.

Mais le gars est éminemment sympathique et réconfortant. Le voisin que tu veux avoir.

Une image m’est revenue en tête, à l’heure du dessert : Trump, devant les caméras, il y a quelques années, qui refuse de donner la main à Angela Merkel…

Entre nous

Parlant de mobilité et d’investissement judicieux, j’ai hâte de connaître le résultat des études sur le troisième lien que GG et le ministère des Transports nous présenteront en avril.

Il y a quelques années, j’ai affirmé que le tout ne coûterait rien en bas de 10 milliards de dollars.

J’y crois encore dur comme fer, même si on tentera de nous convaincre du contraire.