Permettre aux organismes de consacrer leur énergie aux activités sur le terrain.

26, 34, 39… il ne s’agit pas de la combinaison de cadenas oubliée par votre ado pendant la semaine de relâche. Ce n’est pas, non plus, la moitié des numéros choisis à la loterie. Je fais plutôt référence à un total de 26 projets, 34 bailleurs de fonds et 39 rapports de reddition de comptes, à refaire chaque année.

Ce sont les chiffres que m’a donnés le dirigeant d’un organisme communautaire. L’idée n’est pas de vous assommer de statistiques, mais de présenter un aspect méconnu du secteur communautaire.

Pour ces 26 projets, l’organisme a reçu 1,7 million de dollars, soit une moyenne de 65 000 $ par projet. Les 39 redditions de comptes pour 34 bailleurs de fonds (fondations, entreprises et institutions publiques) représentent plus d’un rapport par bailleur. Annuellement, cela fait trois redditions de comptes par mois (en réalité, il y a des périodes plus chargées où il y a plusieurs rapports à produire).

Vous me suivez toujours ? J’ajoute une couche.

Les demandes de financement qu’effectuent les organismes communautaires ne sont pas normalisées : chaque bailleur de fonds a son formulaire, caché sur son site web. Nos dirigeants d’organisme ont donc une compétence secrète : archéologues de l’internet, capables de dénicher les programmes dans lesquels leur demande de financement pourra cadrer. Ici, il s’agit souvent de faire entrer un bloc carré dans un rond. Parfois, c’est tout simplement impossible.

Reprenons nos chiffres : pour financer 26 projets présentés à 34 bailleurs de fonds, il faut rédiger plus de 50 demandes.

Vient ensuite la reddition de comptes. Et devinez quoi ? Chaque bailleur de fonds a son formulaire de mesure d’impact des investissements. Et on veut tout savoir : l’âge des participants, la fréquentation d’une activité, les tâches administratives, le nombre d’heures passées – ironiquement – à la rédaction de la demande de don et du rapport de reddition de comptes, etc. Après tout, les chiffres aident à comprendre, et ils ont beaucoup d’impact… sur la demande suivante !

Ce que je décris ici est un cycle annuel. Vous le devinez sans doute, il est difficile pour les bailleurs de fonds de s’engager pour plus d’une année. Ils veulent savoir où va l’argent, annuellement.

À mon humble avis, tout cela n’est pas très efficace.

La pièce de théâtre

Un autre dirigeant d’organisme me racontait qu’il a déposé une demande auprès d’un ministère provincial pour financer le salaire des intervenants en travail de rue, des médiateurs urbains. Le montant maximal de la subvention annuelle : 50 000 $. Le salaire d’un médiateur urbain : environ 48 000 $. Pour des raisons de sécurité et de qualité, ce travail s’effectue par équipes de deux intervenants. C’est donc dire que même avec la subvention, l’organisme n’embauchera ses deux médiateurs que pour une période de six mois.

Dans un contexte où il faut du temps pour développer la relation de confiance entre un jeune et un intervenant, quel type d’intervention sera-t-il possible d’offrir, selon vous ?

Et en contexte de pénurie de main-d’œuvre, dans quelle mesure notre dirigeant pourra-t-il trouver des médiateurs urbains pour un court contrat de six mois ?

Le dirigeant de l’organisme m’a fait part de sa lassitude de « jouer dans la même pièce de théâtre, année après année ». Il va malgré tout de l’avant avec son projet, parce qu’il ne peut pas laisser tomber « ses » jeunes, dans son quartier.

La confiance

Lorsque je visite des organismes communautaires, je leur demande toujours de qualifier leur relation avec Centraide. Même si la relation continue et le soutien offert sont appréciés, neuf organismes sur dix me parlent de nos demandes en matière de reddition de comptes. Bien que la majorité de nos investissements se fassent sur trois ans pour des sommes de plus de 75 000 $ par année, nous avons encore du chemin à faire pour alléger la charge administrative des organismes et leur permettre de consacrer leur énergie là où ils sont les plus pertinents : sur le terrain.

Nous sommes en relation avec plus de 350 organismes et initiatives que nous soutenons grâce à des fonds provenant de plus de 98 000 donateurs qui font confiance à notre rigueur et qui reconnaissent l’impact des organismes que nous appuyons. Conscients que nos exigences peuvent être lourdes pour certains organismes, nous songeons à intégrer davantage la « philanthropie basée sur la confiance ».

Cette approche interpelle les bailleurs de fonds et les incite à s’engager dans des relations de confiance et à long terme pour écouter les organismes communautaires et apprendre d’eux. L’un de ces apprentissages est la connaissance qu’ils ont des populations en situation de vulnérabilité et leur extraordinaire efficacité à faire des miracles avec des moyens financiers limités.

Le milieu philanthropique porte la responsabilité d’arriver à une vision partagée des objectifs à atteindre et il faut donner au communautaire la possibilité d’accomplir sa mission avec un minimum de paperasserie et de lourdeur administrative. Le milieu a démontré son impact essentiel. Et cela est souvent difficilement traduisible dans un formulaire.