Le plus embêtant avec la défense du premier ministre François Legault dans les contestations judiciaires des lois 21 et 96, c’est qu’il réclame non pas le droit de les défendre, mais qu’il veut être le seul à pouvoir en parler.

M. Legault ne veut pas que le gouvernement fédéral intervienne dans les causes et voudrait que la Cour suprême ne dise rien du tout sur l’utilisation préventive de la disposition de dérogation de la Constitution canadienne.

C’est d’autant plus étrange qu’en l’état actuel du droit, le gouvernement et l’Assemblée nationale du Québec sont assurés d’avoir le dernier mot. La disposition de dérogation fait partie de la Constitution, elle fait parfois l’objet de débats, mais elle reste un compromis essentiel qui a permis l’adoption de la Charte des droits.

Mais avoir le dernier mot ne signifie pas être le seul à pouvoir s’exprimer.

Évidemment, invoquer la disposition de dérogation, que ce soit de façon préventive ou non, constitue un aveu de la part d’un gouvernement que sa loi contrevient à la Charte des droits et ne respecte pas certains droits fondamentaux.

On peut facilement comprendre que le gouvernement Legault veuille défendre des lois qui ont soulevé la controverse.

Mais il est difficile d’accepter que ces débats ne concernent que lui et que personne, ni le gouvernement fédéral ni le plus haut tribunal du pays, n’aurait le droit de s’en mêler.

Manifestement, ce que craint le gouvernement Legault, c’est que la Cour suprême se prononce non seulement sur l’utilisation préventive de la disposition de dérogation, mais aussi sur le fond de la cause, soit le non-respect des droits fondamentaux. C’est toujours un message difficile à revoir.

Mais il reste que le pouvoir de déroger à une décision judiciaire fait maintenant partie du droit canadien depuis 40 ans et il serait surprenant qu’on puisse amender la Constitution sur cette question.

En passant, il faut noter que même si on ne voulait que prévenir l’utilisation de la disposition de dérogation de façon préventive, il est plus que probable qu’il faille un amendement constitutionnel et que ni une intervention fédérale ni une décision de la Cour suprême n’aurait cet effet. Il serait bien incertain pour Justin Trudeau de s’engager dans une procédure d’amendement constitutionnel dans les circonstances actuelles.

Mais au Québec même, ce qui est troublant dans la réaction du gouvernement Legault à la possible intervention du gouvernement fédéral ou de la Cour suprême dans ce dossier, c’est le ton et les arguments de la réplique.

On comprend qu’il y a un électorat qui soit sensible aux arguments de la nation en danger et que tout désaccord avec le gouvernement du Québec devienne une attaque frontale contre la nation québécoise dont le gouvernement Legault serait, évidemment, le seul défenseur.

Cela reste cependant un gros coup de canon pour ce qui n’est, à la fin, qu’un désaccord sur l’utilisation d’une disposition de la Constitution.

Ce qui est aussi déplorable, c’est l’opposition que voudrait faire le gouvernement entre la défense des droits collectifs et les droits individuels. C’est un vieux canard qui ne vole plus très haut. Dans un État libre et démocratique, on est en droit de s’attendre à ce que le gouvernement respecte les deux et puisse concilier ces droits plutôt que de les opposer.

Mais au-delà du cadre juridique, on retrouve dans ce débat la tendance fâcheuse du gouvernement Legault à n’accepter aucune critique et à n’en faire qu’à sa tête en n’écoutant rien ni personne.

Depuis qu’il est au pouvoir, le gouvernement de la CAQ cherche presque systématiquement à éliminer tout ce qui pourrait ressembler à un contre-pouvoir : abolir les commissions scolaires, émasculer la Régie de l’énergie et même modifier la Charte québécoise des droits et libertés sous le bâillon et, pour la première fois, sans consensus des partis à l’Assemblée nationale.

Depuis sa réélection, le gouvernement Legault se comporte comme s’il n’avait plus de comptes à rendre, et tout se passe comme si, une fois qu’une décision est prise au bureau du premier ministre, et avant même qu’elle soit soumise à l’Assemblée nationale, on ne peut plus la changer et toute discussion est inutile.

Le projet de troisième lien n’a pas encore été officiellement présenté, les études ne sont pas encore publiques, mais tout se passe comme si ce n’était plus un simple projet, mais une politique gouvernementale.

En tout cas, c’était déjà le « crois ou meurs » des candidats de la CAQ lors de la dernière campagne électorale.

Plus récemment, c’est la question de la construction de nouveaux barrages qui a eu le même traitement. La décision est déjà prise par M. Legault, c’est juste qu’elle n’a pas encore été présentée au Conseil des ministres.

Quand un premier ministre a si peu de considération pour les institutions, il n’est pas inutile de le confronter au contrôle judiciaire des décisions de l’exécutif. L’une des garanties démocratiques des États modernes.