De mémoire d’observateur attentif du milieu des affaires gouvernementales et entrepreneuriales, jamais une démission aussi soudaine qu’imprévue n’a eu autant d’impact médiatique que l’annonce faite au début janvier par la présidente-directrice générale d’Hydro-Québec.

Quitter, au beau milieu de son premier mandat, un emploi quasi en osmose avec sa carrière soulève des interrogations normales. Mais que les réactions soient à ce point nombreuses, cela surprend.

Ce départ précipité a vite débordé le milieu usuel des affaires gouvernementales. Plusieurs analystes recherchent les « véritables » raisons, élaborent des scénarios… inutile d’en rajouter. Tout n’a pas été dit et ne le sera pas. Reconnaissons tout de même les mérites de cette auto-disjonction : jamais le Québec n’a autant parlé de la gouvernance d’une société d’État et des limites de son mandat, voire entamé une réflexion sur ceux-ci.

Profitons donc de cette occasion pour rappeler les pouvoirs et devoirs des actionnaires, des conseils d’administration et des dirigeants d’entreprise et de compagnie, et comparer le tout avec les sociétés appartenant à l’État.

Pour les entreprises publiques, dont les actionnaires élisent les administrateurs annuellement, ou pour les entreprises privées dont la plupart des dirigeants sont aussi propriétaires, les grandes questions de pouvoir se posent rarement en public. On sait d’où viennent les décisions, où on s’en va et qui dirige.

En revanche, une société d’État est détenue par un gouvernement qui en possède généralement 100 % des actions. Une loi spécifique (votée par l’Assemblée nationale) stipule tous les détails de sa gestion et de son contrôle. C’est le cas pour Loto-Québec, la SAQ et Hydro-Québec.

Une voix tous les quatre ans

Affirmer que les Québécois sont tous actionnaires de ces sociétés d’État est vrai en quelque sorte, mais seulement par pouvoirs délégués aux députés, puis au gouvernement et finalement à un ministre. Aucun Québécois n’est convoqué annuellement pour élire le conseil d’administration d’Hydro-Québec ni pour discuter de ses résultats, de son budget et encore moins de ses orientations stratégiques. Ces pouvoirs sont exercés uniquement par le gouvernement, selon la loi. Les actionnaires ne se prononcent qu’une fois tous les quatre ans, lors des élections générales.

Parfois une « question de l’urne » s’impose. La réponse vient alors de l’électeur/actionnaire. On doit se rappeler les élections de 1962, alors que la nationalisation de l’électricité, faisant d’Hydro-Québec un monopole de la production jusqu’à la distribution de l’électricité, constitua le sujet de l’heure. Le choix était évident. Autre exemple, lors des élections de 1970, le projet de la Baie-James était central, mais partageait les débats avec la question de la souveraineté. Dans ces deux cas, le gouvernement réalisa ses engagements énergétiques.

Lors de la plus récente campagne électorale, il a été question d’évaluer la possibilité de construire de nouveaux barrages et de donner à Hydro-Québec le mandat d’étudier la question.

Cela n’a pas été au cœur des débats ni l’enjeu des élections. Mais à la suite de sa victoire sans équivoque, le premier ministre a saisi l’occasion en s’engageant à aller de l’avant. Évidemment, les dossiers n’ont pas tous la même importance, mais celui de « l’économie verte 2030 » semble être une des priorités.

Alors qui propose, qui discute, qui recommande et qui décide dans le cadre d’une société d’État ?

Maintenant que le débat est lancé, les appels à la discussion seront entendus et un vaste chantier sera entrepris. Déjà Hydro-Québec prévoyait, dans son plan déposé en mars 2022, que c’était une feuille de route devant être ajustée au fil du temps, voire des prochaines décennies.

Lorsqu’en cours de route des décisions devront être prises, elles appartiendront au gouvernement, détenteur du pouvoir délégué par les électeurs. Lorsque ces décisions engageront Hydro-Québec, le gouvernement y jouera son rôle d’actionnaire. Évidemment, tout sera dans la manière et le respect des niveaux décisionnels.

Le conseil d’administration d’Hydro a un rôle important à jouer et il doit être connu. C’est à lui de recevoir de sa direction générale un plan de réalisation de ce qui lui est confié. Formé de personnes indépendantes de la direction générale et de l’actionnaire gouvernemental, le conseil d’administration assure l’objectivité requise. C’est sa responsabilité de discuter avec les dirigeants et même de les mettre au défi avant de présenter une recommandation à l’actionnaire. C’est aussi en vertu de son rôle de facilitateur et médiateur qu’il fait valoir au gouvernement tous les tenants et aboutissants du dossier, et ce, sans oublier qu’à la fin de la discussion, c’est l’actionnaire qui décide.

Renforcer et renouveler les pouvoirs du conseil d’administration et de sa présidence et les faire connaître publiquement constituerait un excellent rempart à l’idée saugrenue de rendre Hydro-Québec totalement indépendante de l’État.

Note : Les départs simultanés de la PDG et de la présidente du conseil laissent songeur. Une nouvelle administration bicéphale n’est nécessaire que lorsqu’on doit administrer un électrochoc à une société.

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