Il n’y a rien d’étonnant dans l’idée de Justin Trudeau de mieux encadrer la disposition de dérogation, idée que François Legault a qualifiée en fin de semaine « d’attaque frontale » contre la nation québécoise, rien de moins.

Après tout, Ottawa a déjà annoncé qu’il participerait à la contestation de la loi 21 sur la laïcité lorsqu’elle aboutira devant la Cour suprême, probablement l’automne prochain. Ce n’est donc pas d’hier que le fédéral tique sur l’utilisation de plus en plus large de la disposition de dérogation, aussi appelée « clause nonobstant ».

Et il a bien raison.

La disposition de dérogation est le compromis qui a convaincu les provinces d’accepter la Constitution, en 1982, sachant qu’elles pourraient avoir le dernier mot. Au nom du bien collectif, la disposition permet aux élus d’adopter des lois même si elles vont à l’encontre des droits des minorités prévus dans la Charte des droits et libertés.

Or, la disposition de dérogation est une soupape de dernier recours. Pas un mécanisme qu’on emploie à toutes les sauces.

Pourtant, la Coalition avenir Québec (CAQ) l’a utilisée à deux reprises et de manière « préventive » par-dessus le marché, c’est-à-dire en l’insérant dès le départ dans ses projets de loi au lieu d’attendre que le tribunal les déclare invalides. Une tentative malsaine de court-circuiter le débat, pourtant essentiel.

Cela a permis de faire adopter la loi 96 sur la langue française et la loi 21 sur la laïcité… une loi adoptée sous le bâillon, faut-il le rappeler, par un gouvernement qui avait été élu avec seulement 37 % des voix.

Pour la démocratie, il faudra repasser. Et François Legault devrait donc se garder une petite gêne avant d’accuser Justin Trudeau de « s’attaquer à la démocratie et au peuple québécois tout entier ».

À entendre François Legault, la disposition de dérogation est devenue le symbole du salut de la nation. Mais attention : il ne faut pas confondre le droit collectif d’un peuple tout entier avec la capacité du groupe qui pèse le plus lourd à exercer le pouvoir sans contraintes. Sinon, la disposition de dérogation revient à appliquer la loi du plus fort, précisément ce que nos chartes veulent éviter.

Car il est important de le rappeler : quand on utilise la disposition de dérogation, on n’écorche pas seulement la Charte canadienne, mais aussi la Charte québécoise qui protège essentiellement les mêmes droits.

Mais revenons à Ottawa. Même si le gouvernement Trudeau demande à la Cour suprême de mieux encadrer l’utilisation de la disposition de dérogation, dans le cadre d’un renvoi, il est loin d’être clair que le plus haut tribunal du pays ira en ce sens.

Après tout, la disposition de dérogation ne prévoit aucune condition et elle fait partie du « contrat » de 1982. Et si la Cour imposait de nouvelles balises, qui veillerait à leur application ? La cour ! Par le fait même, le tribunal se retrouverait à avoir le dernier mot, ce qui irait à l’encontre de l’objectif initial de la Constitution.

Même si on souhaiterait davantage de retenue dans l’utilisation de la disposition de dérogation, notamment quant à son utilisation « préventive », ce n’est pas à la Cour suprême d’imposer de nouveaux paramètres.

C’est aux élus de porter l’odieux de l’utilisation de la disposition de dérogation. Le gouvernement Ford l’a appris à ses dépens lorsqu’il a sorti la disposition de sa manche pour empêcher les enseignants de faire la grève, en novembre. Il a reculé bien vite devant la pression des syndicats.

Mais face à d’autres groupes minoritaires moins bien organisés ou qui ont moins de poids politique, comme les musulmans, les gouvernements ne paient pas toujours le prix lorsqu’ils utilisent la disposition de dérogation.

À quoi bon avoir une charte des droits et libertés si les élus peuvent la contourner en criant ciseaux… ou « nonobstant » ?

Si les provinces voulaient utiliser plus dignement la disposition de dérogation, elles pourraient se doter elles-mêmes de balises, comme l’obligation d’obtenir les deux tiers des votes avant de l’appliquer. Cela donnerait une plus grande légitimité au processus et permettrait un débat plus inclusif.

On peut très bien être Québécois, fier de sa culture et de sa langue, sans écraser les droits des minorités.

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