La semaine dernière, la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, a annoncé qu’elle allait quitter l’entreprise en avril après trois ans à sa direction. Pendant moins de 24 heures, François Legault et son superministre Pierre Fitzgibbon ont fait l’éloge de Mme Brochu, puis sont passés à autre chose, comme sa succession, histoire de rassurer les agences de notation, et d’assurer que le fil du récit se déroule sans heurt. Comme si la démission d’une des femmes les plus puissantes du Québec d’une institution quasi sacrée n’était qu’un accroc mineur au fil tranquille du narratif national.

Nous avons tous pourtant l’impression tenace que tout n’a pas été dit ; que la nouvelle a éclaté dans l’espace public, s’est déplacée vers les médias, mais que ça a dû brasser dans les officines du pouvoir, derrière les portes closes.

Qu’on a assisté à l’épisode final et flamboyant d’une lutte de pouvoir entre deux titans, au clash entre deux visions opposées de ce que doit devenir Hydro. Puisque nous ne saurons rien de plus de la part des protagonistes de cette affaire spectaculaire qui nous concerne puisqu’il y va de l’avenir d’une institution phare de l’État québécois, essayons de combler les blancs en ayant recours à l’analyse d’image des trois principaux acteurs : Mme Brochu, M. Fitzgibbon, et Hydro-Québec.

Sophie Brochu, 59 ans, est une femme de tête et de cœur, qui, depuis plusieurs années, fait la une des palmarès des personnes les plus influentes du Québec. Elle a passé une importante partie de sa vie professionnelle dans le secteur privé, où elle a dirigé avec compétence et vision Gaz Métro/Énergir. Économiste de formation, elle a tâté du théâtre au Conservatoire d’art dramatique de Québec. Son implication sociale est constante ; elle a cofondé La Ruelle de l’avenir, qui prévient le décrochage scolaire dans Hochelaga-Maisonneuve. Elle dispose de solides réseaux, est appréciée pour sa droiture et sa fidélité à ses valeurs. Elle a fracassé le plafond de verre depuis longtemps, mais n’en a pas fait une finalité. Elle a les moyens financiers d’assumer ses positions. Son projet était d’amener Hydro à la transition énergétique du Québec. Sa sortie aura été élégante : elle s’est gardé toutes les portes ouvertes. On va se l’arracher dans les C.A. et aux postes de direction, si elle le souhaite.

Pierre Fitzgibbon, 68 ans, lui aussi indépendant de fortune, est un ami personnel du PM. Homme d’affaires, il en mène large comme superministre de l’Économie, de l’Environnement et de l’Énergie, et ministre responsable du Développement régional. Il a fait l’objet de six enquêtes de la commissaire à l’éthique, dont une qui l’a éloignée du cabinet en juin 2021. Inoxydable, il continue de chasser le faisan en habit d’apparat avec ses amis milliardaires, portant le concept de boys club à un autre niveau. Cette révélation a frappé l’imaginaire, l’automne dernier, car cette image d’un richissime intouchable rompt avec le côté bon enfant et « ordinaire » du cabinet Legault. Son but est de faire d’Hydro-Québec et de notre précieuse énergie propre un appât pour attirer au Québec des entreprises énergivores, tout ça sur fond d’abolition par le gouvernement de la société Transition énergétique Québec.

Le mystérieux Fitzgibbon a dorénavant le champ libre pour réaliser son fantasme : rattraper notre écart de richesse avec l’Ontario.

Le troisième acteur est Hydro-Québec, l’entreprise symbole du Québec moderne, l’État dans l’État. Les Québécois entretiennent avec Hydro une relation ambiguë : fierté/méfiance. Opaque dans sa gestion, mais vertueuse à l’échelle internationale. Même le spectacle J’aime Hydro, de Christine Beaulieu, est mi-révérencieux, mi-critique. Hydro fait partie de nos vies quotidiennes, mais c’est aussi un géant à la gestion questionnable. Hydro nous chauffe, mais est vacillante dès que le vent se lève. On ne sait jamais qui mène, aujourd’hui moins que jamais, ni quel est son dessein futur dans un monde où la gouvernance climatique du Québec est pressante.

Trois images : celles de deux grands serviteurs de l’État qui ont les moyens de faire autre chose, mais qui se consacrent (ou consacraient) au bien commun, et d’une société clé de l’identité nationale. Trois destins au tournant de leur histoire, de notre histoire, puisqu’il s’agit du positionnement du Québec pour les prochaines et cruciales années.

Sophie Brochu a gagné : de l’intégrité, de la liberté, des offres à venir, et un avenir dont elle voudra qu’il soit utile, au vu de son parcours.

Pierre Fitzgibbon a gagné. Sa vision d’Hydro triomphera, et celle du Québec à sa suite.

Hydro-Québec a perdu : une dirigeante de haut calibre, et une certaine vision responsable du futur. Et certainement un petit peu d’affection de la part de ses actionnaires ; les Québécois…