La saison des Fêtes symbolise plusieurs choses. De grasses matinées bien méritées, des retrouvailles avec la famille et avec les copains négligés depuis les derniers mois et l’occasion de reprendre des bouquins commencés, mais pas encore terminés.

De mon côté, je ne plongerai dans aucune grande lecture pendant ce congé. La seule chose que je vais lire sont des menus de restaurants, sur l’écran de mon téléphone.

Je pratiquerai aussi la nouvelle tradition de l’incontournable rattrapage de séries sur les plateformes de streaming. Déjà et avec beaucoup d’enthousiasme, je recommande l’excellente Bad Sisters, sur AppleTV+. Dans la bucolique ville de Dublin et à travers 10 épisodes, nous suivons les imbroglios des sœurs Garvey. C’est une famille aimante, mais qui ne manque ni de complexité ni de dysfonctionnements.

Complexités, dysfonctionnements. C’est presque universel dans les familles. Même celle qui réside au palais de Buckingham n’y échappe pas et sur Netflix, nous en avons (encore) la preuve.

Harry & Meghan a fracassé des records d’écoute à sa sortie, plus tôt ce mois-ci, avec 175 millions de téléspectateurs, et le titre se retrouve au sommet du palmarès des visionnements dans 85 pays. L’immanquable série documentaire est l’histoire du duc et de la duchesse de Sussex – de leurs enfances respectives, des débuts de leur flirt, puis de leurs fiançailles, de leur mariage et, surtout, de la couverture médiatique de ce train à grande vitesse.

Bien avant sa sortie, la série documentaire a joui d’une superbe visibilité. C’est une gracieuseté de la puissante machine de communications de Netflix et aussi de ceux qui – et ce, même avant d’avoir vu l’œuvre – remettaient en question sa raison d’être et affichaient leur dédain pour le couple, comme si c’était un insigne d’honneur. Et puis, il y a eu les nombreux papiers, post-visionnement, critiquant le contenu de la série documentaire, et écrits par ceux qui ont fait de ne pas aimer les Sussex – Meghan en particulier – un métier.

Il y a un côté très étrange à ce besoin de crier haut et fort qu’on n’a pas aimé le documentaire.

Pourtant, son visionnement n’est pas obligatoire – il ne s’agit pas d’un service militaire. Pour plusieurs, il aurait certainement été plus chic de dire qu’ils ont regardé et aimé un documentaire sur Pierre et Marie Curie, mais pour d’autres, comme moi, Harry & Meghan représente un important baromètre d’une époque dans laquelle il y a eu le Brexit d’un côté, et de l’autre, des appels à la reconnaissance des effets néfastes de la colonisation ainsi que des demandes de dissociations de la monarchie. L’arrivée de Meghan Markle dans la famille royale – un peu comme un canari dans une mine de charbon – fait d’elle une témoin, et la libération de sa parole donne à cette série documentaire une valeur sociale. Harry & Meghan semble aussi être une résultante directe des mouvements sociaux qui perturbent divers statu quo depuis cinq ans. Ce n’est probablement pas étranger à ce qui dérange. Du moins, en partie.

Recommandation, bis.

Aussi à voir en rattrapage, cette fois-ci sur france.tv, la première partie d’Il était une fois les Champs-Élysées, offerte depuis quelques jours. Le documentaire est un retour sur les 300 épisodes de cette émission de variétés culte, animée par Michel Drucker. Devant plus de 10 millions de téléspectateurs, chaque samedi soir, le plateau de Drucker recevait les plus grands de la chanson, de la télévision et du cinéma. De Céline Dion à Gilbert Bécaud, en passant par Romy Schneider. L’actrice y accordera d’ailleurs sa dernière interview, en avril 1982, un mois avant sa mort. Romy Schneider avait demandé à Michel Drucker de l’inviter à l’émission. Pour y parler de certains de ses projets, mais surtout pour dénoncer la presse, qui avait utilisé de grotesques tactiques pour obtenir des photos de son fils mort accidentellement, l’année d’avant. Déguisés en infirmiers, des photojournalistes avaient pu infiltrer l’hôpital et photographier le corps sans vie de son jeune David, âgé de 14 ans. « Où est la morale ? Où est le tact ? », demandera à Drucker une Romy Schneider marquée par le deuil et par la colère.

La relation entre la presse et les célébrités a toujours été complexe, dysfonctionnelle.

Dans Harry & Meghan, le couple royal expose la collusion qui existe entre certains médias britanniques et des membres de la famille royale et les ententes qui en ressortent et qui ressemblent à celles qu’on fait avec le diable. À sa manière, le couple se demande où est la morale ? Où est le tact ? Des questions que se posaient aussi Madonna, dans le documentaire Truth or Dare en 1991, et Taylor Swift, dans Miss Americana, sorti en 2020.

Le rebondissement dans Harry & Meghan et qui les différencie est qu’en attendant d’avoir les réponses, les Britanno-Californiens renversent une certaine vapeur en détaillant non seulement les coulisses de ce qui a pendant si longtemps été caché, mais aussi en se défendant armés d’avocats, reprenant ainsi le contrôle de ce qui leur été arraché. Le couple raconte sa version de son histoire. Elle n’a pas moins de valeur parce que Meghan Markle et Harry sont beaux, fortunés et très bien logés, surtout parce que ce qu’ils dénoncent, comme l’intimidation, ne se règle ni avec l’argent ni avec de l’immobilier d’exception. Et oui, ils ont été payés pour ce documentaire, tout comme Madonna et Taylor Swift l’ont été pour les leurs.

On taxe le couple de vouloir trop de visibilité. C’est marrant. À leur mariage, tous les grands chefs d’antenne de tous les grands réseaux se sont rendus à Londres pour couvrir l’évènement. À travers le monde, nous avons été 1,9 milliard de personnes à regarder la cérémonie à la télévision. Nous avons donné au couple toute cette lumière qu’on leur reproche. Nous avons amplifié cette marque qui déborde maintenant dans des balados, des conférences, des compagnies de productions et des livres. La marchandisation du duo Meghan et Harry, comme celui de Barack et Michelle Obama, par exemple, est un produit de son époque et il faut être d’une certaine mauvaise foi pour critiquer un phénomène auquel nous avons contribué. Même le roi en devenir et sa femme Kate Middleton en ont pris note et essaient de copier ce modèle qui marche, malgré les critiques. Pourquoi ne pas faire preuve de freudenfreude et célébrer ce succès ?

La série documentaire Harry & Meghan est tout simplement l’histoire d’un jeune couple marié. « Ce dont elle avait besoin de moi était beaucoup plus que ce que j’étais capable de lui donner », confiera le prince au sujet de sa femme, dans un des épisodes. La transparence de cette déclaration – qui aurait pu aussi avoir été faite sur Instagram – est, elle aussi, emblématique de notre époque.

La série documentaire est le témoignage d’un jeune couple qui surmonte les enchevêtrements familiaux et nous rappelle – du moins pour l’instant – que l’amour vainc tout et que comme le chantait Bécaud, c’est merveilleux l’amour. Pas mal comme message du temps des Fêtes.

Regardez Romy Schneider à l’émission Champs-Élysées, le 10 avril 1982 Regardez la bande-annonce de Harry & Meghan Regardez la bande-annonce de Bad Sisters (en anglais)