Drôle d’année et étrange fin d’année. Ceci est ma dernière chronique avant 2023. Elle est constituée de ti-bouttes dépareillés, mais je crois qu’elle forme une courtepointe dont les motifs de saison se répondent.

Nous émergeons de deux semaines de partys de bureau et nous nous engouffrons dans les réunions de famille et les soupers d’amis. Le temps des Fêtes est un temps suspendu. Nous abordons un temps festif dont nous auront été privés pendant deux ans, mais pas tous dans le même état. Nous serons nombreux, nous sommes des masses à nous sentir en déséquilibre, partagés entre la joie de nous rassembler, d’être de retour au monde, mais en même temps un pas derrière, s’avouant qu’on est tièdes. Pas apeurés par la COVID-19, non. Juste ralentis dans notre rapport aux autres, nous sentant en porte-à-faux aux partys, mélancoliques, circonspects. Le festival du jovialisme 24/7 n’est pas obligatoire, il faut le répéter.

Parlant party, ai-je raté le débat de société mouvementé sur la tolérance zéro face à l’alcool ? Avez-vous vu ces pubs de la SAAQ mettant en scène un massif et taciturne lutin qui réclame les clés de char de tout convive ayant renifé le moindre effluve d’alcool ? Le seuil de ,08 d’alcool au volant a-t-il été modifié soudainement ? Je ne fais surtout pas la promotion de l’alcool au volant, mais qu’est-ce que cette infantilisation subite de tous les Québécois ? « T’as bu ? T’as bu ! », c’est un peu court comme argument dans ce qui mérite une véritable discussion, ou carrément un débat social.

Le lutin maussade ne dépare pas dans cette année 2022 qui fut acrimonieuse.

Le ton a monté, et avec lui la méfiance des uns envers les autres, de tous contre les « élites ». L’occupation d’Ottawa par les camionneurs de la liberté en février fut un concentré d’époque : défiance, contestation légitime détournée par des forces extérieures en lien avec des trumpistes, ras-le-bol du « système ». L’image du camionneur, cet aventurier des temps modernes, s’est muée en héraut de l’extrême droite qui se dissocie de sa société. L’évènement laisse une cicatrice dans le tissu social.

Ce fut aussi l’année où Twitter tel qu’on le connaissait est définitivement mort. Ça avait commencé avec les libertariens états-uniens, puis les trolls en cohortes, puis Elon Musk. Twitter a déjà été une place publique qui transcendait les clivages. Il est devenu puant. Désormais, les réseaux sociaux donnent le ton : agressivité et insultes sont devenues banales dans les rapports des uns avec les autres.

Nous terminons 2022 avec la COP27 en Égypte et la COP15 à Montréal, entre les catastrophes climatiques angoissantes qui s’enchaînent. Environnement meurtri, biodiversité exsangue, climat déréglé. L’écoanxiété est tangible et ne s’attaque pas qu’aux ados : parlez-en aux Madelinots, aux riverains du Bas-du-Fleuve. Tous constatons que l’étau se resserre.

Quelque chose, dans nos consciences, a basculé cette année. Notre monde est menacé. Reste à voir ce que nous ferons, individuellement et collectivement, avec ce sentiment nouveau et cette réalité déjà familière.

Le tout-à-l’auto solo, la vitesse folle, les automobilistes agrippés à leurs volants et leurs privilèges sont aussi contestés. Les VUS sont de plus en plus montrés du doigt. La mort toute récente de la petite Mariia, tuée dans un délit de fuite alors qu’elle marchait vers son école, a marqué les esprits, plus que des mois de discours vertueux. Nous irons vers une plus grande accessibilité des transformations physiques (et politiques) de nos quartiers, villes et villages, afin de les rendre plus vivables.

Les temps sont incertains. Les idées sont bousculées. Plusieurs se sentent déstabilisés. Il faut trouver ses propres raisons d’espérer. Saisir sa joie là où elle se tapit. Dans la chaleur de l’amitié, de ses proches, dans la générosité d’inconnus qui nous sourient, dans les préparatifs des Fêtes, dans un film de Noël dégoulinant de bons sentiments, mais qui fait la job, dans le geste d’aller voir un concert de Noël, mettons celui de la formidable chorale de Y’a du monde à messe…

Je vous laisse avec cette chanson créée par Frank Sinatra en 1954, la face B de White Christmas. Ça s’appelle The Christmas Waltz, et c’est magnifiquement repris par Laufey, une Sino-Islandaise de 23 ans, une chanteuse de jazz. Ça berce l’âme. Nous en avons tous furieusement besoin. Joyeuses Fêtes.

Écoutez la version de The Chrismas Waltz de Laufey