Samedi matin, Léonie, ma mère, saute dans l’autobus, au coin de chez nous. Elle s’en va magasiner. Acheter des cadeaux de Noël. Parce que le père Noël, c’est elle. Elle ne nous le dit pas, mais on s’en doute. Sa liste est longue.

Non seulement elle achète tous les cadeaux pour mon frère, ma sœur, mon père et moi, mais elle achète aussi les cadeaux que l’on se donne entre nous. Elle achète même le cadeau que mon père lui donne. Sans oublier tout ce qui va dans les bas de Noël. Et les offrandes pour nos tantes et les amis proches. Ça fait depuis début décembre qu’elle passe ses jeudis soirs, ses vendredis soirs et ses samedis à parcourir les boutiques de la rue Sainte-Catherine. À chercher ce qui fera plaisir à chacun de nous. En bravant le froid dehors et le chauffage dedans. C’est épuisant, magasiner. Dépenser, étonnamment, peut être plus fatigant que penser.

Il est presque 22 h, maman vient d’arriver. Les bras chargés de sacs bien remplis, qu’elle s’empresse d’aller cacher dans sa chambre. On fait comme si on n’avait rien vu.

Une journée, pendant qu’on est à l’école, elle emballe tout. Merde, il manque de papier ! Elle court en acheter. Pose les décorations : les cocottes sur la porte d’entrée, la crèche sur le bord de la fenêtre, le casse-noisette sur le foyer. Tente de convaincre mon père d’aller chercher le sapin. Les années où papa fait trop son Scrooge, Léonie le transporte toute seule, à pied. Mais il est plus petit. Y a quand même des limites !

Puis on garnit l’arbre de Noël en famille. En famille, c’est vite dit. Les enfants accrochent les premières boules, mais suspendre des glaçons un par un, c’est long. On se tanne. Alors c’est ma mère qui le fait, avec mon père qui pose l’étoile tout en haut parce qu’il est le seul à être assez grand.

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Ma mère, mon père et mon grand frère Bertrand, qui n’était pas encore grand

Déjà le 23, elle se précipite rue Monkland pour acheter la bouffe. Parce que de la bouffe, il en faut. On reçoit le 24, le 25 et le 1er, y a juste le 31 qu’on est reçus chez Tantôt et Marie-Laure.

Ma mère se met à ses fourneaux. C’est elle qui cuisine tout. Comme d’habitude. Sauf qu’à Noël, elle en fait plus que d’habitude, et surtout des mets plus fancy que d’habitude.

Une fois le réveillon terminé, les cadeaux donnés, on se couche surmenés. Pendant que l’on fait la grasse matinée, Léonie se lève pour préparer le dîner de Noël, puis pendant qu’on va le digérer, elle va préparer le souper de Noël. Bref, durant un mois, ma mère n’arrête pas. Elle est à la fois le père Noël, la mère Noël, les lutins et les rennes.

Noël, c’est elle. Je lui dois tous les Noëls de mon enfance. Sans elle, on ne serait jamais arrivés à Noël en même temps que tout le monde.

Je les dois aussi à mon père, bien sûr. En partie. Car mon père a toujours apporté sa contribution. Sa contribution de père de ce temps-là. Pelleter les marches pour la visite, monter le bois pour chauffer le foyer, laver la vaisselle, ramasser. Et payer présents et festins. Ce n’est pas rien. (Précisons que l’argent qu’il gagnait en travaillant, c’est beaucoup grâce à son épouse qui s’occupait de la maison et des enfants. Bref, les deux contribuaient.)

Plus on vieillissait, plus ma sœur, mon frère et moi aidions. Surtout ma sœur, à dire vrai. Encore une question d’époque, faut croire.

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Ma mère et ma grande sœur Dodo

Ce matin, je tenais à dire merci à ma maman et à rendre hommage à toutes les mères qui ont conçu, produit et réalisé tous les Noëls des familles québécoises, pendant plusieurs siècles. Sans elles, les souvenirs les plus lumineux de notre jeunesse seraient éteints.

Les temps ont changé. Les mères d’aujourd’hui ne portent pas le temps des Fêtes à bout de bras. Les hommes s’impliquent davantage. Mais j’ai la forte impression que ce sont encore les femmes qui en font le plus pour qu’aient lieu les réjouissances. Qu’elles en sont l’âme. Alors merci à elles aussi !

Dans notre famille, ce sera notre cinquième Noël sans notre mère. Bien avant son départ, tous les membres de la famille avaient pris le relais pour s’accueillir les uns les autres.

Mais au-delà de tout ce qu’elle faisait pour nous lors des Noëls d’antan, c’est sa présence qui importait le plus. Elle était le sens de la fête. On tournait tous autour d’elle. Comme tout tourne autour de la plus brillante étoile.

Noël, c’est ma mère. Et ce le sera toujours.

On va s’ennuyer. Encore plus.

Heureusement, la vie est ainsi faite que durant les partys des Fêtes, ce sont les petits-enfants qui prennent la place des grands-parents. Tout tourne autour d’eux, maintenant.

Et ça va tourner un moyen temps ! Car mon frère Bertrand est rendu avec quatre petits-enfants nommés Édouard, Simone, Gisèle et… Léonie !

Joyeuses Fêtes à vous tous !