C’est ce qui donne le vertige, même si on se dit qu’une mort, c’est une mort de trop. Bien sûr. Mais la mort d’un enfant, c’est toujours la couche d’horreur de plus, la couche d’horreur de trop, quand le destin frappe.

Elle avait 7 ans.

Ça avait donc couru toute la journée : la fillette happée par un automobiliste au coin Parthenais et de Rouen, mardi matin, avait 7 ans.

Le cœur se serre, tu penses aux enfants que tu connais. J’ai pensé au mien : il avait 7 ans quand j’ai commencé à le laisser aller au parc seul, comme un grand. Il n’avait qu’une intersection à traverser.

On ne sait rien des circonstances de l’accident. On sait juste que la petite s’en allait vers l’école. Que des passants ont alerté le CLSC Parthenais, situé à la même intersection. Que trois infirmières et un médecin ont accouru, qu’ils ont entrepris les manœuvres de réanimation.

On sait aussi que la petite était avec sa sœur et son frère.

Toute la journée, comme tout le monde, j’ai gardé un œil sur cette nouvelle, espérant lire les mots magiques dans une déclaration de la police, du genre l’enfant est hors de danger. Secrètement, j’ai même fait une prière, pis je ne crois même pas en Dieu, allez savoir.

Dans l’après-midi, Érick Ouellet m’a écrit. Érick m’écrit souvent, que ce soit pour commenter cette chronique ou le show de radio. Il habite le quartier Ville-Marie. Au printemps, Érick a écrit à la police, au PDQ 22 plus précisément, pour lui dire que ça roule vite dans le coin. Pour lui dire qu’il avait vu en 2021 une piétonne se faire happer par un automobiliste… sur de Rouen, justement.

Je cite son courriel à la police : « Avec le nombre d’enfants qui transitent et les parents, c’est un miracle que personne n’ait été tué. »

Eh bien, le miracle a pris fin mardi, vers 8 h. Quelqu’un a été tué, et ce « quelqu’un » est une fillette de 7 ans. On l’a appris un peu avant 18 h. Et j’ai échappé un gros mot d’église qui commence par « c » et qui rime avec « lisse ».

Bien sûr, les accidents, ça arrive. Mais juste dire ça, c’est avoir accepté que l’aménagement de nos rues, de nos quartiers et de nos villes n’est pas optimal.

Un citoyen, Philippe Bouchard, a témoigné à La Presse avoir demandé à la Ville d’installer des saillies de trottoir à l’intersection Parthenais-de Rouen, sans succès.

Saillies de quoi ? Saillies de trottoir : on élargit le trottoir aux intersections, en formant un entonnoir. C’est chiant pour l’automobiliste pressé, mais c’est une sorte de sauve-piéton, car ça limite les dépassements aux intersections : plus la voie est étroite, plus les automobilistes ont tendance à ralentir.

Et juste la semaine passée, Piétons Québec a fait une sortie publique pour souligner quoi ? Pour souligner une hausse inquiétante des décès de piétons dans les dernières semaines. Pour marteler le message de l’importance de l’aménagement des routes, des quartiers, des villes…

Érick Ouellet m’a dit ce que Philippe Bouchard a dit à La Presse : la fermeture d’une partie du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine a créé beaucoup de circulation supplémentaire dans le quartier, à cause du pont Jacques-Cartier, tout près. Avant même l’accident de mardi, on craignait dans ce secteur de Ville-Marie les automobilistes de la Rive-Sud pressés qui veulent prendre des raccourcis dans le quartier.

Je vous dis ça et l’homme de 40 ans qui s’est livré à la police, quelques heures après le drame, il réside où ? Sur la Rive-Sud.

Hasard ?

On verra.

Toute la journée, comme tout le monde, j’ai donc gardé un œil sur cette nouvelle en espérant lire que la petite était hors de danger. À 18 h, on a su qu’elle était morte.

Puis, en soirée, comme si ce n’était pas suffisant, une petite neige d’ignominie supplémentaire s’est posée sur ce fait divers déjà assez horrible, merci : la fillette était une réfugiée ukrainienne.

Imaginez… Vous fuyez l’Ukraine mise à feu et à sang par la Russie, vous cherchez un pays sûr où mettre votre famille à l’abri. Vous mettez le doigt sur la mappemonde : on va au Canada, chéri ?

Go, on va au Canada, on va au Québec.

Tu débarques à Montréal, tu te refais une vie. Tu te dis : on va être bien ici, les petits sont en sécurité, ils ne seront pas massacrés par un des soldats de Poutine…

Pis ta fille se fait tuer coin Parthenais-de Rouen par un chauffard.

Putain que c’est absurde, la vie.

Je savais bien que prier, ça ne donne rien.