Un double drame s’est joué dans les rues résidentielles de Ville-Marie mardi : une fillette — réfugiée ukrainienne de surcroît — a été happée par un automobiliste qui a ensuite pris la fuite. Le tout, au moment où elle cheminait vers l’école. De quoi ébranler tout un quartier, et assombrir le bilan routier du Québec.

Après avoir fui la guerre, Montréal n’aura pas été une terre d’asile pour cette famille arrivée d’Ukraine et vivant dans l’arrondissement de Ville-Marie. Mardi matin, pendant qu’elle marchait vers l’école en compagnie de son frère et de sa sœur, une fillette de 7 ans a été happée par un automobiliste qui a ensuite pris la fuite.

Le décès de la victime a été confirmé en début de soirée, environ 30 minutes avant le début d’une veillée aux chandelles visant initialement à soutenir son rétablissement.

Les appels au 911 ont commencé à affluer vers 8 h 05 pour une collision entre une voiture et un piéton à l’angle des rues de Rouen et Parthenais.

Le conducteur impliqué dans l’évènement, lui, s’est aussitôt enfui après la collision, laissant la fillette lutter pour sa vie. Un suspect de 40 ans a été retracé durant l’après-midi. Il a été interrogé par des enquêteurs en soirée. Ces derniers ont aussi parlé à de nombreux témoins et vérifié si des caméras de surveillance avaient capté des images du délit.

Des chandelles et des pleurs

Voisins et enfants se sont rassemblés au parc des Royaux, à un coin de rue du lieu de l’accident, vers 18 h 30. La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, aussi députée de la circonscription, était également sur place. Sous quelques flocons, portant chandelles et peluches, ils se sont étreints en essuyant leurs larmes.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le décès de la victime a été confirmé en début de soirée, environ trente minutes avant le début d’une veillée aux chandelles visant initialement à soutenir son rétablissement.

« C’étaient de petits Ukrainiens, ils traversaient depuis septembre, ils ne parlaient pas beaucoup français ou anglais », expliquent les deux brigadiers du secteur, qui ont préféré taire leur identité, car ils n’ont pas le droit de parler publiquement.

Le monde roule tellement vite, des fois, on est devant l’auto et on ne sait pas s’ils vont s’arrêter !

Un brigadier du secteur, qui a témoigné sous le couvert de l’anonymat

« C’était un petit ange aux yeux bleus, renchérit l’autre, les joues mouillées de larmes. Pourquoi est-ce qu’il faut toujours des accidents pour que les choses changent ? »

« Les gens sont en colère, moi je suis triste, vraiment triste », a confié un peu plus loin Philippe Bouchard, co-organisateur du rassemblement. « Je pense aux parents, ils sont tout seuls ici », a-t-il ajouté, la voix étranglée. « Et c’est Noël bientôt… »

Mélina d’Orléans, une voisine qui a aussi organisé le rassemblement, a recueilli le frère et la sœur de la victime mardi matin, après l’accident, pour leur éviter qu’ils voient leur sœur dans cet état. Elle a contacté l’école et la famille. « C’est dur, parce qu’on est beaucoup à avoir des enfants à cette école, a-t-elle raconté, des sanglots dans la voix. On est là pour envoyer nos pensées à la famille. »

Aroua, âgée de 8 ans, et Sahar, 10 ans, deux camarades d’école de la victime, étaient aussi ébranlées par le drame. « Elle ne pourra jamais grandir, devenir une adulte, savoir c’est quoi l’amour », a dénoncé Aroua. « Moi aussi, j’ai déjà failli me faire tuer, parce que les autos foncent, a ajouté Sahar. On n’arrive pas à y croire ! »

D’autres enfants sur place, pleurant à chaudes larmes, ont affirmé à La Presse avoir failli être frappés par des automobilistes dans le secteur scolaire.

Un suspect de 40 ans a été retrouvé plus tard dans la journée et les enquêteurs l’interrogeaient toujours en début de soirée, a annoncé le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le véhicule, un VUS, a été saisi à des fins d’enquête.

Le CLSC a porté secours

Louis-Philippe Piché descendait la rue Parthenais en voiture quand la collision est survenue. Il n’a pas vu l’enfant se faire happer par un automobiliste, mais le conducteur du camion cube devant lui s’est retrouvé aux premières loges du drame.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Un large périmètre de sécurité a été érigé et des policiers rencontrent présentement des témoins.

« Nous, on a vu quelqu’un par terre, mais personne ne réagissait. On pensait que c’était une personne qui avait perdu connaissance. Ma femme est descendue de la voiture pour aller voir ce qui se passait. Elle s’est rendu compte que c’était grave », raconte-t-il.

La fillette, au milieu de la chaussée, semblait très mal en point. Des passants ont alors accouru au CLSC Parthenais pour demander de l’aide. Du personnel médical s’est rendu auprès de la victime avec un chariot rempli de matériel de premiers soins.

Selon Louis-Philippe Piché, la fillette n’avait pas de pouls, mais grâce à des manœuvres de réanimation, elle a réussi à reprendre une ou deux respirations. « Il y avait du sang sur sa tête, dans sa bouche », note-t-il.

Une intersection maintes fois dénoncée

Philippe Bouchard, lui, habite devant le lieu de la collision. Dès qu’il a vu des voitures de police, il est sorti de sa maison pour offrir de l’aide. « J’ai eu un choc en voyant que c’était un enfant », a raconté celui qui est éducateur dans un CPE du quartier.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La scène du délit de fuite, dans Centre-Sud

Il y a quelques années, ce citoyen a demandé que des avancées de trottoirs soient mises en place à l’intersection des rues Parthenais et de Rouen. Thierry Robillard-Martel, lui, a exigé l’installation de dos d’âne dans la rue Parthenais, il y a quelques semaines à peine. Un autre citoyen a quant à lui contacté ses conseillers d’arrondissement, à la mi-novembre, pour dénoncer la vitesse des automobilistes. Leurs demandes ne se sont jamais matérialisées.

Dans le quartier, il y a beaucoup de circulation de transit à cause du pont Jacques-Cartier qui est proche. Et avec la fermeture du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, il y a encore plus de circulation. Les gens sont impatients. Ils ne font pas leurs arrêts comme il faut.

Philippe Bouchard, résidant du quartier

L’arrêt au coin de Parthenais n’est pratiquement jamais respecté, affirme aussi un parent de l’école Jean-Baptiste-Meilleur. « Devant l’école, c’est maximum 30 km/h, mais il y en a qui sont facilement au-dessus de 70 km/h. C’est une véritable autoroute, et rien ne change. »

Au Québec, les piétons sont nettement plus à risque de mourir. Même s’ils sont impliqués dans 7 % des accidents de la route, ils représentent 15 % des décès, selon les données de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

L’intersection des rues Parthenais et de Rouen est un corridor scolaire, mais il n’y a pas de brigadier pour aider les enfants à traverser. L’intersection est balisée uniquement par deux panneaux d’arrêt et du marquage au sol.

Lisez la lettre ouverte de Piétons Québec : « Notre inertie tue »

Avec la collaboration de Nicolas Bérubé, Pierre-André Normandin et Henri Ouellette-Vézina, La Presse