Vous le savez, les urgences débordent. Une fois de plus, le réseau de la santé croule sous la pression. Des milliers d’enfants tombent malades pendant que, sur le front de la COVID-19, le bilan du Québec continue de s’alourdir : seulement vendredi, 19 morts.

Vous savez tout ça. Comme vous savez qu’il existe un moyen formidablement simple de freiner la propagation des virus respiratoires qui causent ce catastrophique bordel : le port du masque.

Pas moins de 82 % des Québécois estiment que le masque est efficace pour lutter contre les infections, selon le plus récent sondage de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Seulement 18 % n’y croient pas.

Mais alors, pourquoi diable ne le porte-t-on pas davantage ?

Pour élucider ce mystère, je me suis tournée vers Kim Lavoie, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine comportementale au département de psychologie de l’UQAM. L’experte en connaît un rayon sur les différentes politiques et stratégies de communication à adopter pour inciter une population à modifier ses comportements.

Son constat est sévère : depuis le début de la pandémie, les autorités sanitaires ont fait à peu près tout ce que la science comportementale préconisait… de ne pas faire.

Grosso modo, il existe deux approches pour changer les comportements d’une population : la carotte et le bâton. Le Québec, depuis le début, a opté pour le bâton, constate Kim Lavoie.

« Le message a toujours été autoritaire : une punition vous attend si vous ne vous conformez pas à nos directives. Si vous ne portez pas le masque, on vous empêchera d’aller au resto, de prendre l’avion, etc. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Une passagère du métro, en 2020

Pour être honnête, je ne me souviens pas de grand monde, à l’époque, qui s’opposait à ces mesures contraignantes. Pour ma part, je n’étais certainement pas contre. L’urgence, c’était de contenir la pandémie. Mais voilà : selon la Dre Lavoie, cette « méthode militaire » a fait en sorte que les Québécois ont porté le masque, d’abord et avant tout, pour éviter la punition. Alors, quand la menace de punition a été levée, ils ont cessé de le porter. Ils n’avaient plus de motivation pour le faire.

Au plus fort de la pandémie, les autorités sanitaires ont forcé les Québécois à se conformer « comme des moutons », regrette encore la Dre Lavoie. Il aurait plutôt fallu les aider à évaluer les risques – et à penser par eux-mêmes. « Un des besoins fondamentaux de l’être humain, c’est d’être autonome. Personne n’aime se faire dire quoi faire. On a l’impression d’être infantilisé. Comme si on ne pouvait pas s’organiser par soi-même. »

Le résultat, après trois ans de ce traitement intransigeant, c’est que les Québécois en ont pris l’habitude. « On attend de se faire dire quoi faire plutôt que d’utiliser notre sens critique. On dirait qu’en l’absence d’obligation, les gens sont incapables de prendre une décision éclairée. »

Pire, pour une partie de la population, le masque est devenu un symbole de répression et de perte de liberté. Ces personnes qui critiquent le port du masque n’aiment pas être placées devant le fait que nous sommes « toujours en pleine pandémie, ce qu’elles veulent oublier », observe la psychologue.

Peut-être culpabilisent-elles aussi à l’idée que les citoyens masqués ont raison – et qu’elles ont tort, elles, de se balader sans protection. « Elles rejettent un symbole qui les confronte et qui les met mal à l’aise. »

Si l’on se fie au sondage de l’INSPQ, le quart des Québécois porteraient le masque au travail et le tiers dans les transports en commun. Pas moins de 42 % des Montréalais seraient masqués dans le métro et les autobus.

Je ne sais pas pour vous, mais ce n’est pas du tout ce que j’observe, en réalité. C’est un peu comme si bien des sondés avaient sagement répondu… ce qu’il fallait répondre.

Les gens savent parfaitement bien ce qu’ils devraient faire, en théorie, observe Kim Lavoie. « Un fumeur, ce n’est pas parce qu’il manque de connaissance sur les méfaits du tabac qu’il fume. Le problème, ce n’est pas un manque d’information, mais un manque de motivation. »

Un manque de motivation, parce qu’on va se le dire : c’est désagréable, porter un masque. Mais surtout, parce que les autorités sanitaires n’ont jamais vraiment essayé d’en faire une habitude.

Ça peut encore se faire, estime Kim Lavoie. Une campagne sociétale peut encore normaliser le masque, comme cela a été fait pour le casque de vélo et la ceinture de sécurité.

Il faut rendre le masque aussi banal que le parapluie, illustre la psychologue. « Les jours gris, on évalue le risque de se faire mouiller et on glisse un parapluie dans notre sac, au cas où. On peut créer le même réflexe avec le masque. Si je vais au Centre Bell pour un match de hockey où 22 000 personnes vont crier et postillonner, je vais prendre mon masque avec moi. »

« On ne dit jamais aux gens qui portent un parapluie : “Ah, ben là, maudit mouton ! Mon Dieu, tu dois avoir peur de la pluie !?” » Ce serait totalement ridicule. Il faut faire en sorte qu’un discours semblable devienne tout aussi ridicule auprès des Québécois qui ont le bon sens de porter un masque.