Ces trois mots, ces trois lieux me hantent depuis qu’on n’arrive pas à mettre du sens dans ces huit morts absurdes, autour de la perte de ces hommes, femmes, enfants, de tous les innocents gravement blessés, des familles et des proches meurtris à jamais par ce manque immense. Des dizaines de personnes touchées de près, des centaines de plus loin qui se demandent, en vain : mais pourquoi ?

À Sainte-Rose, des tout-petits et leurs éducatrices, visés par un autobus-bélier le mois dernier. À Amqui, des promeneurs fauchés au hasard par une camionnette. Rue Bélanger à Rosemont, trois membres d’une famille tués à l’arme blanche par le fils, jeudi dernier.

Devant tant d’horreur, de douleur, d’incompréhension partagées, nous essayons de trouver des bribes d’explications, une mince lueur de sens à laquelle s’accrocher.

Les journalistes ont accouru sur les lieux. Les toutous, les fleurs, les lampions, toute la panoplie indissociable de ces évènements se sont mis à s’amonceler, comme des cailloux colorés sur le sentier du devoir de mémoire. Les chefs des partis politiques, les députés se sont recueillis, ont fait ce qu’ils avaient à faire : du bien.

Je suis, nous sommes tous tétanisés, dépassés par les évènements, submergés par les images, indignés par bouts devant les suppositions ou les solutions hasardeuses. Nous regardons tous, en quête d’explications devant l’inexplicable. Puis, nous fermons les yeux, mais les images affluent dans nos têtes, intenables.

L’insupportable est entré dans la vie de gens paisibles, sans histoire, de familles dorénavant ébahies et souffrantes.

Nous ne savons pas où classer ces trois drames, insoutenables dans une société tranquille comme le Québec. Est-ce des faits divers ? Ça parle de la société ou des individus ? Qu’est-ce qui relie les trois évènements, puisque nous les avons tous reliés ? Car il y a dans ces trois abominations une apparente absence de préméditation, donc de sens.

On essaie de trouver des explications du côté de la maladie mentale chez les trois tueurs. Ils ont tous des profils différents. Pour ce qu’on en sait en ce moment, c’étaient des hommes sans histoire, quoique taciturnes. Trois hommes dans la force de l’âge, de 19 ans à la quarantaine. La santé mentale a-t-elle le dos large ? L’avenir nous dira quel était le profil mental exact des trois tueurs. Chose certaine, la désinstitutionnalisation, la pandémie, les réseaux sociaux ont révélé et mis en face de nous la maladie mentale, les problèmes qui y sont reliés, et les trous immenses et les limites du système de soins et de prévention.

Des milliers de personnes souffrantes n’arrivent pas à rencontrer des professionnels. Les services psychiatriques sont débordés, ou terriblement éloignés. Tout, dans notre système de santé, nous indique qu’on s’en balance pas mal…

Dire que ces trois cas relèvent de la maladie mentale, c’est un peu concéder qu’il y en aura d’autres, puisque notre société, si elle parle désormais librement de dépression et de troubles mentaux, peut difficilement soigner tout le mal-être au quotidien.

Pointer la maladie mentale, c’est trouver une explication qui restera lettre morte, puisqu’on ne peut rien faire de concret. C’est le coupable parfait.

Peut-on parler d’effet de contagion ? La triste litanie des lieux – Laval, Amqui, Rosemont – revient. Elle suggère que des esprits malades ont été fascinés par le MAL qui se déployait sous leurs yeux pervertis. Possible. Les médias montraient, tentant désespérément de trouver une once de sens. Les réseaux sociaux commentaient, la parole souvent haineuse, appelant à la vengeance, menaçant du pire. De quoi échauffer les plus fragiles, ou les plus tordus.

Laval, Amqui, Rosemont. On peut ajouter Québec, le jour de l’Halloween 2020. On se dit : peut-on tirer du sens de ce qui se passe chez nos voisins, là où les fusillades sont quasi quotidiennes ? L’œuvre de désaxés, là aussi, mais ça s’arrête là. On ne peut comparer les deux sociétés. Aux États-Unis, l’accès aux armes à feu change la donne. Et appelle une réaction dont nous ne voulons pas : des profs qui s’arment, des tableaux de classe qui deviennent des caissons blindés pour protéger les enfants… Non. Nous ne voulons pas vivre dans cette psychose intégrée à la vie, normalisée, banale. Nous ne sommes pas eux.

Alors quoi ?

Il faut assumer qu’il y en aura d’autres. Que le geste gratuit, malade, illuminé existe et existera toujours. Que les efforts mis du côté de la prévention n’endigueront pas tout. Laval, Amqui, Rosemont : ce sont des faits divers. Et les faits divers parlent de société. Et la société, c’est nous. Soyons, au quotidien, moins rudes les uns envers les autres. Sourions-nous. Saluons-nous, ne nous méfions pas systématiquement. Mettons du sens dans nos paroles, de la lumière dans nos yeux, de la solidarité entre nous. Ce serait un début…