Avec Santé Québec et Mobilité Infra Québec, la tendance est à la création d’agences au gouvernement Legault.

Mais la CAQ ne fait pas que créer des agences. En 2020, elle en a supprimé une : Transition énergétique Québec (TEQ).

Plusieurs observateurs estiment qu’il s’agissait d’une erreur. Et puisque la mode est aux agences, j’en profite pour lancer l’idée de ressusciter TEQ.

Je vous entends : encore une structure ? Je comprends votre réticence. Il est bien difficile de savoir si les nouvelles agences créées par le gouvernement Legault généreront les gains d’efficacité promis ou si elles ne feront qu’ajouter une couche de plus à la bureaucratie existante.

Je n’ai pas plus de réponses que vous à ces questions. Mais dans le cas de TEQ, plusieurs arguments militent en faveur d’une agence dont le rôle serait de planifier l’ambitieux et nécessaire virage énergétique qu’est en train de négocier le Québec.

Même s’il faut se méfier des questions trop simples, on peut se demander pourquoi il faut une agence de santé s’il existe un ministère de la Santé, et une agence de transport s’il existe déjà un ministère des Transports.

Avec TEQ, c’est différent. La transition énergétique touche de nombreux ministères : Environnement, Énergie, Habitation, Transports, Agriculture. Difficile de plaider qu’une agence dédoublerait les structures existantes. Elle jouerait plutôt un rôle de coordination.

Il est vrai que le ministère de l’Environnement a déjà produit un Plan pour une économie verte qui couvre un horizon allant jusqu’à 2030. Il existe aussi des « plans de mise en œuvre », planifiés sur des horizons plus courts, afin de définir les actions nécessaires au plan d’ensemble.

En principe, ça devrait marcher. En réalité, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Mon collègue Charles Lecavalier rappelait récemment que ce qu’on appelait naguère le Fonds vert, vers lequel sont dirigés les revenus du marché du carbone et qui est justement censé financer la transition, est assis sur des surplus de 1,7 milliard1. Voir cet argent dormir alors qu’il y a tant à faire est complètement aberrant.

Quant à l’argent qui est bel et bien déployé, il est trop souvent englouti dans des programmes inefficaces, comme l’a montré la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal2.

Québec affirme être sur la bonne voie pour atteindre ses cibles climatiques. C’est vrai, mais c’est largement parce que nos entreprises achètent chaque année des dizaines de millions de droits d’émission aux entreprises californiennes, liées par le même marché du carbone.

Des centaines de millions de dollars ont ainsi déjà pris le chemin de la Californie et le flux s’accélère. Normand Mousseau, directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, estime que si la tendance des prix et des émissions se maintient, la facture pourrait atteindre le demi-milliard de dollars juste pour cette année.

Ça commence à faire beaucoup d’argent qui part vers un État plus riche que le nôtre. Ces fuites de capitaux n’auraient pas lieu si les réductions étaient faites ici.

L’actualité nous fournit d’autres exemples qui suggèrent que la transition se fait de façon chaotique.

À Shawinigan, l’entreprise TES Canada veut transformer l’électricité en hydrogène, puis cet hydrogène en gaz synthétique. L’idée : l’envoyer notamment dans le réseau de gaz naturel d’Énergir. Le très impliqué ministre de l’Énergie, de l’Innovation et de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, voit le projet d’un bon œil. Mais les experts sont nombreux à s’arracher les cheveux devant les pertes découlant de ces nombreuses transformations d’énergie. Ils craignent que le projet privé ne finisse pas engloutir des fonds publics.

Le regard indépendant et apolitique d’une agence d’experts serait drôlement précieux là-dessus.

Un autre exemple nous vient du projet de Waste Management à Sainte-Sophie. Là-bas, on veut utiliser le gaz produit par un site d’enfouissement pour le diriger, encore une fois, vers les conduites d’Énergir. Le hic : en présentant les gains du projet, le distributeur de gaz a « oublié » que ce gaz est actuellement utilisé par l’usine de Papiers Rolland. Et que si on le lui retire, cette usine devra brûler des combustibles fossiles3. Le manque de vue d’ensemble est flagrant.

La fin des surplus d’électricité amène des questions difficiles au Québec. Vaut-il mieux utiliser notre électricité pour la transition énergétique ou pour attirer des entreprises chez nous ? Quelle proportion génère les meilleurs gains économiques, environnementaux et sociaux ? Et qu’en est-il du gaz naturel ? Où devrait-il être utilisé ?

Le Plan pour une économie verte ne répond pas à ces questions. Et pour l’instant, les décisions se prennent beaucoup au bureau du ministre Pierre Fitzgibbon.

On dira qu’au moins, M. Fitzgibbon est élu et est redevable envers l’électorat, contrairement à un président d’agence. C’est vrai. Mais le besoin d’une vision à long terme, neutre et soutenue par des données me semble évident.

L’idée de ressusciter TEQ passe bien parmi les experts que j’ai consultés. Pierre-Olivier Pineau, à HEC Montréal, se dit « 100 % d’accord ». À l’Institut Trottier, Normand Mousseau y est aussi favorable… à condition de donner à l’agence les moyens de ses ambitions.

« [À l’époque], TEQ manquait de moyens et il y avait encore des fils à attacher pour lui donner un peu plus de capacité d’action, que ce soit dans la réglementation (bâtiment, transport, etc.) ou dans l’accès au financement », m’écrit l’expert.

Alors, après Santé Québec et Mobilité Infra Québec, le retour de Transition énergétique Québec ? Jamais deux sans trois, dit-on. Et tic-tac-TEQ.

1. Lisez l’article « Fonds d’électrification et de changements climatiques : Un surplus de 1,7 milliard critiqué de toute part » 2. Consultez le Bilan du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques 3. Lisez l’article « Site d’enfouissement de Sainte-Sophie : Énergir a le feu vert du BAPE pour son projet de raccordement » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue