(Québec) Le Fonds vert est assis sur un surplus accumulé de 1,7 milliard de dollars, une incongruité en pleine urgence climatique selon les experts, environnementalistes et partis de l’opposition. Pourtant, le gouvernement ne souhaite pas y toucher, et veut même le faire croître.

Ce qu’il faut savoir

En décembre 2018, le Conseil de gestion du Fonds vert déplorait que les surplus accumulés du fonds, évalués alors à près de 950 millions, n’étaient pas dépensés pour la réduction des émissions de GES.

À ce moment, le gouvernement caquiste, nouvellement élu, s’engageait à dépenser ces sommes.

L’excédent accumulé est maintenant évalué à 1,7 milliard dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques, qui a remplacé le Fonds vert.

« À l’heure actuelle, l’objectif n’est donc pas d’éliminer rapidement le surplus accumulé dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques [la nouvelle appellation du Fonds vert], mais plutôt de s’assurer de pouvoir soutenir sa croissance. Aussi, les revenus de placement de ce surplus accumulé reviennent dans le FECC », affirme Amélie Moffet, attachée de presse du ministre de l’Environnement, Benoit Charette.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette

Cette somme représente un montant supérieur à l’ensemble des dépenses faites par le FECC pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou s’adapter aux changements climatiques pour l’année 2023-2024 (1,6 milliard de dollars).

Mme Moffet souligne que 75 % de cette cagnotte a été générée avant la transformation du Fonds vert en FECC. « Avec cette réforme, notre gouvernement a mis en place un mécanisme de suivi mensuel des dépenses des mesures du Plan pour une économie verte 2030 (PEV), qui nous permet de réagir promptement et de réallouer les sommes plus rapidement dès qu’une non-réalisation se confirme », écrit-elle dans un courriel.

L’excédent a toutefois continué de croître depuis.

Changement de cap

À son arrivée au pouvoir, le gouvernement Legault ne croyait pas qu’il était opportun de conserver un coussin financier aussi important. En 2018, le conseil de gestion du Fonds vert affirmait que les surplus accumulés constituaient alors « autant de ressources disponibles qui ne sont pas mises à contribution pour l’atteinte des objectifs gouvernementaux de réduction des émissions de GES ».

La ministre de l’Environnement de l’époque, MarieChantal Chassé, voulait les dépenser rapidement. « Les sommes qui sont actuellement dormantes, je ne peux pas accepter ça longtemps. Il faut que les sommes servent de façon efficace à réduire les gaz à effet de serre », disait-elle.

L’idée de conserver une grande cagnotte est d’ailleurs critiquée de toute part. « Ça n’a aucun sens », déplore l’environnementaliste Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada.

« On a des services de transport collectif en train de crouler sous les déficits, avec des diminutions de service inévitables. […] On est en pleine crise climatique, on l’a vu l’été dernier avec des incendies de forêt historiques, des inondations », dit-il.

Et pendant ce temps, le Québec est complètement en voie de rater son objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030, même si cette cible est insuffisante.

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada

Dans ce contexte, il ne faut pas que le gouvernement du Québec « laisse de l’argent dans ses coffres », surtout qu’il a été payé « par les contribuables lorsqu’ils achètent de l’essence ».

Patrick Bonin accuse même le gouvernement Legault de laisser cet argent « vert » dans ses coffres pour « diminuer son déficit ».

Le fiscaliste Luc Godbout explique la mécanique suivante : si l’État québécois dépense plus que les revenus du FECC – qui proviennent du marché du carbone – dans la lutte contre les changements climatiques pour l’année 2024-2025, il « viendra alourdir le déficit ». L’excédent accumulé « s’est bâti sur plusieurs années et affecte la dette à la baisse », souligne-t-il. En attendant, le FECC « prête » son surplus au Fonds général du gouvernement, qui le dépense ailleurs.

Le cabinet du ministre Charette affirme de son côté que le maintien de ce surplus n’a rien à voir avec la situation budgétaire du Québec. Mme Moffet souligne toutefois « qu’il n’est pas possible de dépenser les surplus amassés dans le FECC sans l’accord du ministre des Finances ».

Trains et bâtiments

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, ironise : il estime que les programmes actuels du gouvernement sont si inefficaces que le fait que le Québec ne dépense pas tout est une « bonne nouvelle ».

Mais plus sérieusement, il trouve la situation « malheureuse ». « Tout le monde dit qu’on manque d’argent. On sait par exemple que pour l’économie d’énergie, les rénovations profondes des bâtiments coûtent très cher, c’est peut-être dans le logement qu’on devrait utiliser ces sommes », affirme-t-il.

Autre avenue possible : investir dans le transport ferroviaire, la seule solution selon lui pour réduire les émissions de GES dans le secteur des transports au Québec. « Ce n’est pas avec 1,7 milliard qu’on va faire du train partout au Québec, mais on pourrait faire un bout de chemin pour des études et certains corridors », croit-il.

Incompréhension des partis de l’opposition

À l’Assemblée nationale, les partis de l’opposition sont du même avis. La députée libérale Virginie Dufour estime que cette cagnotte pourrait permettre de colmater les bâtiments qui sont des « passoires énergétiques », et en même temps « rajeunir le parc locatif », en pleine crise du logement.

« Dans un contexte d’urgence climatique, qu’on se donne un coussin de 1,7 milliard de dollars alors que les besoins en mesures de transition énergétique sont criants, je ne le comprends pas », laisse tomber le péquiste Joël Arseneau. Il estime que c’est le symbole comptable d’un gouvernement « qui ne veut pas appuyer sur l’accélérateur ».

La députée de Québec solidaire Alejandra Zaga Mendez renchérit. « On ne réussit pas à atteindre la cible gouvernementale de réduction d’émissions de GES, et on a de l’argent qui dort dans les coffres », s’indigne-t-elle. Elle estime que cette décision « compromet leur atteinte ». « Pendant ce temps, les émissions de GES ont augmenté en 2022. C’est préoccupant. »