Le projet d’Énergir consistant à injecter le méthane généré par le site d’enfouissement de Sainte-Sophie dans son réseau de distribution de gaz naturel devrait être autorisé, même si ses bénéfices climatiques sont largement surestimés, conclut le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) dans son rapport rendu public par erreur jeudi.

Énergir demande au gouvernement l’autorisation de construire une conduite qui lui permettra de raccorder à son réseau un complexe de valorisation des biogaz et une usine de biométhanisation que la multinationale Waste Management projette de bâtir à son lieu d’enfouissement technique des Laurentides.

Le distributeur gazier aurait ainsi accès à 80 millions de mètres cubes de « gaz naturel renouvelable », générés par la décomposition des matières organiques enfouies à Sainte-Sophie, et éventuellement de celles qui y seraient biométhanisées.

« Le projet d’Énergir devrait être autorisé », conclut le BAPE dans son rapport qui doit être rendu public ce vendredi, mais qui a été brièvement mis en ligne jeudi, en raison d’un « problème technique ».

Le BAPE conteste toutefois les réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) que le projet entraînerait, affirmant qu’elles « ont été surestimées par Énergir, en raison de l’omission de certaines variables », écrivent les commissaires, qui les évaluent à moins du tiers de ce qu’avance l’entreprise.

Énergir soutient que son projet permettrait d’éviter l’émission de 124 387 tonnes de GES par année de 2025 à 2050, mais ces estimations ne tiennent compte ni des émissions générées par l’utilisation de gaz fossile par Waste Management pour faire fonctionner ses installations projetées ni de l’utilisation de gaz fossile par l’usine Papiers Rolland de Saint-Jérôme, qui utilisait jusqu’à tout récemment le biogaz provenant du site d’enfouissement, souligne le BAPE.

La concrétisation du projet pourrait d’ailleurs mettre « en péril » l’usine Papiers Rolland, s’était inquiété son propriétaire Sustana lors de la commission d’enquête du BAPE, en janvier.

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Transition énergétique

Le BAPE « est également perplexe » face aux affirmations d’Énergir voulant que le gaz renouvelable que son projet permettrait d’injecter dans le réseau remplace du gaz fossile, soulignant qu’il est possible qu’il ne fasse que s’ajouter à l’offre de gaz fossile.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le site d’enfouissement de Waste Management à Sainte-Sophie, en janvier dernier

« Toute nouvelle utilisation du gaz naturel renouvelable ne devrait pas automatiquement être comptabilisée comme une réduction équivalente de gaz naturel fossile à moins qu’une analyse rigoureuse préalable n’ait été effectuée », écrivent les commissaires.

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs devrait demander à Énergir de procéder à une réévaluation complète et détaillée des émissions de gaz à effet de serre.

Extrait du rapport du BAPE

La recommandation du BAPE d’approuver le projet aurait conséquemment dû être conditionnelle, se désole Jean-Pierre Finet, analyste en régulation économique de l’énergie pour le Regroupement des organismes environnementaux en énergie.

Le projet n’assurera pas une « utilisation optimale » du gaz naturel renouvelable, qui devrait être réservé aux procédés industriels difficilement électrifiables, dit-il, rappelant les conclusions d’une étude québécoise récente remettant en question les bienfaits de la ruée vers le GNR d’Énergir.

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Le rapport du BAPE appelle d’ailleurs Québec à mener une réflexion plus large sur l’utilisation du gaz naturel renouvelable dans la transition énergétique, afin d’« élaborer des stratégies énergétiques durables qui répondent aux impératifs climatiques ».

Impact du déboisement

Le rapport du BAPE souligne aussi des inquiétudes quant au déboisement et à son impact sur la nidification des oiseaux que le projet entraînerait, jugeant insuffisante la proposition d’Énergir de reboiser une superficie équivalente aux pertes de milieux forestiers causées par ses infrastructures.

« L’initiateur devrait compenser les pertes de milieux forestiers selon un ratio supérieur à 1 pour 1 en superficie », écrivent les commissaires, qui appellent en outre à réaliser les travaux en dehors de la période de nidification des oiseaux, qui s’étend de la mi-avril à la fin août.

Dans le cas contraire, Québec « devrait exiger l’application rigoureuse de mesures d’atténuation efficaces pour limiter les répercussions sur la faune aviaire, en particulier sur les espèces à statut précaire », préconise le BAPE.

Énergir juge « faisable d’arriver à satisfaire les recommandations du BAPE », a déclaré sa directrice générale des affaires publiques, gouvernementales et communautés, Catherine Houde, heureuse des conclusions de l’organisme.

L’entreprise demande toutefois au gouvernement un « cadre clair » pour évaluer les réductions de GES liées à son projet, réitérant l’argument qu’elle ne contrôle pas les émissions de GES de Waste Management ou de Papiers Rolland.

L’évaluation du projet se poursuit au ministère de l’Environnement, qui devrait rendre sa décision d’autoriser ou non le projet « dans les prochaines semaines ou les prochains mois », a déclaré l’attachée de presse du ministre Benoit Charette, Mélina Jalbert.

Le ministre a reçu le rapport du BAPE le 5 avril et tiendra compte de ses recommandations dans sa prise de décision, ajoute Mme Jalbert.

« Le gouvernement ne peut pas approuver ce projet-là [en l’absence] d’une étude crédible sur les émissions de GES », a réagi Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de Greenpeace Canada, déplorant que le ministère de l’Environnement ait jugé recevable l’étude d’impact sur l’environnement « complètement bâclée » d’Énergir.

L’histoire jusqu’ici

Mai 2022 : Énergir présente une demande d’autorisation au gouvernement pour construire une conduite servant à injecter dans son réseau le méthane provenant du site d’enfouissement de Sainte-Sophie, dans les Laurentides.

Décembre 2022 : Énergir dépose l’étude d’impact sur l’environnement de son projet, qui a été jugée recevable par Québec en août 2023.

Décembre–janvier 2024 : Une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a lieu sur le projet d’Énergir. Le projet de construire un complexe de valorisation des biogaz et une usine de biométhanisation du propriétaire du site d’enfouissement, Waste Management, n’était pas étudié par le BAPE.