Des chercheurs québécois viennent de lancer un important projet de recherche visant à développer une expertise pour la restauration de milieux humides, pratiquement inexistante dans la province. Un constat qui devrait inciter le ministère de l’Environnement à être plus prudent en n’autorisant pas aussi facilement leur destruction tout en promettant de les restaurer avec un objectif de zéro perte nette.

On ne sait pas comment restaurer des milieux humides, c’est bien ça ?

La réponse courte à cette question, c’est oui. L’expertise est pratiquement inexistante, affirment les biologistes Kim Marineau et Stéphanie Pellerin. « On n’a pas les connaissances pour faire de la restauration. Il y a un besoin de recherche évident », affirme Mme Marineau, présidente de la firme Biodiversité conseil.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La biologiste Kim Marineau

« Si on veut faire de la vraie restauration, c’est un savoir à développer au Québec », renchérit Mme Pellerin.

Et la réponse longue ?

Une certaine expertise s’est bâtie au fil des ans pour la restauration des tourbières, explique Stéphanie Pellerin, qui est aussi chercheuse à l’Institut de recherche en biologie végétale. « Ça nous a pris 20 à 30 ans pour apprendre comment les restaurer. Mais des tourbières, ce sont des écosystèmes assez simples comparés aux autres milieux humides. On peut généralement appliquer la même recette alors que pour les marais, les marécages, c’est beaucoup plus complexe. C’est pratiquement du cas par cas chaque fois. »

Comment bâtir alors cette expertise qui est déficiente ?

Un important projet de recherche vient tout juste de démarrer avec la collaboration de chercheurs de l’Université de Montréal et de l’Université Laval. Le projet RARE (pour Recherche et applications pour une restauration éclairée des milieux humides) bénéficiera d’un financement de 10 millions de dollars et s’échelonnera sur une période de cinq ans. « Ça va nous prendre au moins deux ans avant d’avoir nos premiers résultats », souligne Mme Pellerin, qui collabore au projet. Un des objectifs de la recherche, c’est aussi d’évaluer les coûts de restauration, qui sont trop souvent sous-estimés, ajoute-t-elle.

Est-ce qu’on sait au moins si ça fonctionne vraiment ? Peut-on réellement restaurer ou créer des milieux humides ?

Selon Stéphanie Pellerin, il est tout à fait envisageable de développer ce type d’expertise au Québec, mais ça prendra plusieurs années avant d’y arriver. Mais aussi poussée soit-elle, la science n’arrive pas à égaler la nature, du moins en ce qui concerne les milieux humides, mentionne la chercheuse.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La biologiste et chercheuse à l’Institut de recherche en biologie végétale Stéphanie Pellerin

Toutes les études le montrent, un milieu humide qui est restauré ne sera jamais l’équivalent d’un milieu à l’état naturel. La nature le fait mieux que nous.

Stéphanie Pellerin, biologiste

« Il y a des fonctions écologiques qu’on peut recréer, mais pour d’autres, c’est beaucoup plus compliqué, explique-t-elle. La restauration d’un milieu humide, c’est beaucoup plus complexe que de recréer une forêt. »

Il y a donc un risque qu’on ne puisse recréer tout ce qui a été détruit ?

« Le vrai scandale, ce n’est pas que nous ne soyons pas encore en mesure de bien restaurer des milieux humides, c’est que l’on continue à en détruire à ce rythme », affirme Stéphanie Pellerin. En partant du fait que ce sont des milieux complexes, difficiles à reproduire, Québec devrait appliquer un principe de précaution, croit-elle. Il sera difficile de restaurer des superficies aussi importantes que celles qui ont été remblayées depuis 2017, ajoute Mme Pellerin.

La nouvelle loi n’était pourtant pas censée ralentir la destruction de milieux humides ?

La Loi concernant la conservation des milieux humides prévoit une séquence dans l’évaluation des projets, soit « éviter, minimiser, compenser ». Or, plusieurs groupes environnementaux reprochent au ministère de l’Environnement d’escamoter les deux premières étapes, et de passer systématiquement à la compensation au moment d’autoriser un projet. De plus, les sommes exigées par le Ministère ne semblent pas ralentir le remblaiement de milieux humides, fait remarquer Stéphanie Pellerin. « Le Ministère semble fonder beaucoup d’espoir dans le projet de recherche [RARE] pour renverser la tendance. Mais c’est comme si on ne faisait pas les choses dans le bon ordre. Il aurait fallu s’assurer d’avoir cette expertise avant de détruire autant de milieux humides », lance Kim Marineau.