Comment ils sont passés de la parole aux actes

Les patients n’ont pas nécessairement les déchets à l’esprit quand ils vont à l’hôpital. Et ça se comprend. Pourtant, les établissements de santé sont une poubelle sans fond ; de plastique, papiers, instruments et résidus médicaux dangereux. À Montréal, le Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine réussit un tour de force vert dans sa gigantesque pharmacie.

Geneviève Ouellet nous ouvre les portes vitrées de la pharmacie du chemin de la Côte-Sainte-Catherine. Une pharmacie hospitalière où pas moins d’un demi-million de médicaments stériles et non stériles sont préparés chaque année pour traiter les enfants et leurs mamans qui fréquentent l’établissement.

Tour de force

La pharmacienne dirige l’équipe verte de son département en plus de coprésider l’Éco-CMDP, une entité qui veille aux bonnes pratiques des médecins, dentistes et pharmaciens. Il y a six ans, elle et son équipe ont entrepris de convaincre tout le monde d’embarquer dans leur concept vert. Un tour de force, raconte-t-elle. Un bac de recyclage est apparu dans la cafétéria des employés, puis un bac de compostage, puis un autre et un autre, puis un bac pour les canettes consignées.

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Geneviève Ouellet, pharmacienne au CHU Sainte-Justine, dirige l’équipe verte de son département.

Aujourd’hui, un bac de récupération des aérosols trône à l’entrée de la pharmacie. La boîte sert à récupérer les dispositifs utilisés pour le traitement des problèmes pulmonaires comme l’asthme. Au lieu d’être jetés, les gaz restants sont stockés pour l’élimination sécuritaire.

Les inhalateurs, eux, sont désinfectés et réutilisés grâce au développement d’un processus autorisé par le comité de prévention des infections du CHU Sainte-Justine. Ainsi, les pompes peuvent être réutilisées par d’autres patients jusqu’à ce qu’elles soient complètement vides. Elles sont ensuite recyclées.

« En travaillant avec les pneumologues et les inhalothérapeutes, on s’est rendu compte qu’une pompe n’est souvent utilisée qu’à quelques reprises par un enfant. Elles sont laissées derrière dans les chambres. Alors qu’un inhalateur peut contenir facilement plus d’une centaine de doses. Imaginez le gaspillage », explique Mme Ouellet.

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Un bac rempli de bouteilles de Tylenol petit format de 24 millilitres

D’un pas énergique, la pharmacienne entraîne La Presse vers un autre local, vers un récipient rempli à ras bord de bouteilles en plastique de Tylenol liquide, petit format de 24 millilitres. La pharmacie tente d’obtenir de gros formats sans succès auprès des fournisseurs. En chemin, on tombe sur un immense conteneur rempli de masques, gants, couvre-cheveux, couvre-chaussures, chemises de protection de laboratoire. Une technicienne, Stéphanie Hamelin, soulève un bac d’emballages de divers médicaments. Ils iront au presse-papiers (cartons) pour être revendus au géant du papier hygiénique Cascades.

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Le presse-papiers (cartons) du CHU Sainte-Justine. La prochaine étape consisterait à acquérir un presse-plastiques.

Plus loin, on ouvre les portes d’un local où des assistants techniques préparent des seringues pour les patients. Autrefois, elles étaient placées dans des sacs de plastique de grande taille, que ce soit pour une seule ou cinq seringues, avant d’être envoyées aux patients. Un non-sens, explique Mme Ouellet. Désormais, il y a des sacs de différentes tailles. Et au lieu d’être jetés, ils sont réutilisés une fois les doses acheminées aux différents départements.

« Une économie de 18 000 sacs par année », estime la dirigeante de l’équipe verte de la pharmacie.

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Autrefois, les seringues de médicaments étaient toutes acheminées dans des sacs de plastique de grande taille, que ce soit pour une ou cinq seringues.

Au bloc opératoire

Dans les hôpitaux, le tiers des déchets provient de la pharmacie, un autre tiers des blocs opératoires. Au CHU Sainte-Justine, un gros travail est effectué par le personnel soignant pour réduire le gaspillage, notamment en utilisant moins de gaz anesthésiant. Le personnel infirmier s’efforce aussi de ne pas ouvrir des paires de gants pour rien. Le tout sans compromettre la santé des patients, précise-t-on.

Éric Éthier est président de Go Zéro, une entreprise spécialisée dans la récupération des produits oubliés par le système de recyclage traditionnel, dont les fameux masques tant utilisés depuis la pandémie ou les aérosols mentionnés précédemment. Selon lui, les établissements de santé ne peuvent plus prétendre que le recyclage est impossible à cause de l’absence des technologies.

Nous n’en sommes plus à l’étape des projets pilotes. Ce ne sont pas les technologies qui manquent. Un virage vert, ça ne passe plus juste par l’installation d’ampoules DEL. L’enjeu est aujourd’hui de passer à l’action.

Éric Éthier, président de Go Zéro

« Oui, ça coûte cher, traiter la matière, mais c’est la même qu’on réemploie, c’est de l’économie circulaire », rappelle-t-il.

La prochaine étape à franchir, au CHU Sainte-Justine, serait l’acquisition d’un presse-plastiques, estime Mme Ouellet. Mais les coûts sont astronomiques. La machinerie permettrait de transformer la matière plastique en ballots pour la revendre à des recycleurs.

« Il faudrait vraiment que les ministres de la Santé et de l’Environnement fassent front commun. C’est ironique, mais on rend malades les gens avec toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) que nous produisons dans les hôpitaux pour soigner. Il faudrait également interpeller les fabricants de médicaments pour réduire le suremballage », insiste-t-elle.

En attendant les fonds nécessaires à l’acquisition de l’équipement, la pharmacie du CHU Sainte-Justine se concentre à réduire son utilisation de papiers. Tout est dorénavant imprimé recto verso. Il y a deux étiquettes par ordonnance au lieu de quatre, et ainsi de suite. L’achat de papier à imprimante est local.

« C’est cliché, mais chaque petit geste compte », tranche la pharmacienne.

Rectificatif
Des modifications ont été apportées à ce texte après sa publication afin de préciser quelques informations, notamment quant au procédé de préparation, et non de disposition, des seringues et au nombre de sacs qu’il permet d’éliminer, soit 18 000 par années plutôt que 18 par jour. Tout comme le procédé de désinfection et recyclage des inhalateurs, qui a été clarifié.

Consultez l’étude de l’Organisation mondiale de la santé (en anglais)
En savoir plus
  • 85 %
    Proportion des déchets hospitaliers qui sont potentiellement recyclables, selon l’Organisation mondiale de la santé.