Une cannebergière de 70 hectares pourrait voir le jour à Sainte-Anne-de-Sorel, ce qui aurait « des impacts majeurs » sur la faune aviaire et les milieux humides, selon le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui pourrait être appelé à évaluer le projet.

L’entreprise Fruits des îles prévoit aménager 12 champs de canneberges et un bassin d’irrigation sur des terres agricoles, ce qui nécessitera la destruction de 6,3 hectares (63 000 m⁠2) de terrains boisés et de 3,3 hectares (33 0⁠⁠⁠00 m⁠2) de milieux humides, indique sa demande d’autorisation.

Fruits des îles ambitionne toutefois de faire de son exploitation un modèle d’écoresponsabilité, notamment en implantant une gestion de l’eau en circuit fermé et en réduisant l’utilisation d’engrais et de pesticides.

Cette toute première cannebergière de la Montérégie – la culture de la canneberge étant très majoritairement concentrée dans le Centre-du-Québec – serait exploitée pour une durée de 100 ans.

Les champs seront recouverts d’une couche de sable de 30 cm après avoir été « décapés » pour en retirer une partie de la terre arable, qui servira à former des digues pour permettre leur inondation à l’automne, lors de la récolte, et à l’hiver, pour les protéger.

L’eau nécessaire au remplissage et au maintien du niveau du bassin d’irrigation sera prélevée dans le fleuve Saint-Laurent et transportée par une conduite souterraine d’une capacité de 10 millions de litres par jour.

Milieu sensible

Même s’il se veut écologique, le projet nécessitera la destruction de milieux humides, dans l’une des deux régions du Québec qui en ont perdu le plus depuis 2017 – la superficie perdue y totalise près de 63 hectares (630 000 m2), rapportait La Presse, lundi1.

Vue aérienne du futur terrain qui sera exploité

« Historiquement, la culture de la canneberge a été responsable de la destruction de nombreuses tourbières et d’autres types de milieux humides dans la vallée du Saint-Laurent, et particulièrement dans le Centre-du-Québec, puisqu’elle nécessite d’avoir une nappe phréatique près de la surface du sol », explique la professeure Julie Talbot, directrice du département de géographie de l’Université de Montréal et spécialiste des milieux humides.

Et les cannebergières sont généralement exemptées de l’obligation de compenser cette destruction de milieux humides, ce qui pourrait d’ailleurs être le cas pour celle projetée par Fruits des îles, indique le ministère de l’Environnement, disant ne pouvoir le confirmer avant d’avoir terminé l’analyse du projet.

À cela s’ajoutent d’autres impacts environnementaux, causés par l’utilisation de fertilisants et de pesticides et par la gestion de l’eau, poursuit Mme Talbot.

L’entreprise Fruits des îles a le mérite de « vouloir faire des efforts pour diminuer les impacts environnementaux », mais son projet devrait être étudié « à la loupe » étant donné le milieu sensible dans lequel il veut s’établir, estime le directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), Alain Branchaud.

« Le cours d’eau récepteur est le lac Saint-Pierre, qui est un élargissement du fleuve Saint-Laurent en train de subir un envasement important et accéléré, d’étouffer finalement, en raison des déchets organiques et des fertilisants rejetés par la production agricole », affirme-t-il.

Milieux dégradés, espèces menacées

Les milieux humides du site, composés d’un marécage arborescent, d’un marais, d’une prairie humide et d’un marécage arbustif, sont dans un état allant de « dégradé à très dégradé », soutient Fruits des îles dans sa demande.

Ainsi, les conditions actuelles de ces milieux humides n’assurent ni leur intégrité écologique ni leur maintien en tant que milieux naturels fonctionnels dans une perspective à long terme.

L’entreprise Fruits des îles, dans sa demande d’autorisation

L’aménagement d’une cannebergière procurera en revanche « des avantages pour l’écologie de la région », soutient l’entreprise, évoquant la diversification des cultures et la création d’un milieu propice à la faune, dont des espèces à statut précaire comme l’hirondelle de rivage et la tortue des bois.

Les inventaires fauniques réalisés sur le terrain ont d’ailleurs démontré la présence de plusieurs espèces animales, dont cinq espèces d’oiseaux à statut précaire : le pygargue à tête blanche, le goglu des prés, l’hirondelle rustique, le pioui de l’Est et le quiscale rouilleux.

La présence de la tortue peinte, dont le statut est jugé préoccupant au Canada, a également été observée.

Occasion d’affaires

Fruits des îles voit « une opportunité d’affaires » dans la culture de la canneberge, la demande pour ce fruit étant en hausse, indique-t-elle dans sa demande d’autorisation.

La moitié des canneberges produites au Québec étant destinée aux marchés étrangers, cette augmentation souhaitée de la production n’est peut-être pas justifiée, postule Alain Branchaud.

« Tout ce qu’on rajoute, qui a des impacts ici, sur notre environnement, est nécessairement voué à l’exportation, dit-il. Est-ce qu’on peut juste entretenir cette industrie, arrêter de la grossir ? »

Une séance d’information sur le projet aura lieu mardi à la salle communautaire de Sainte-Anne-de-Sorel et sera retransmise en direct sur le site internet du BAPE ; quiconque souhaite demander que le BAPE soit mandaté pour évaluer le projet aura jusqu’au 10 mai pour en faire la demande au ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

L’entreprise Fruits des îles n’a pas rappelé La Presse.

1. Lisez « Protection des milieux humides : “Tout porte à croire que ce sera un échec” »
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  • 78 %
    Proportion des productions de canneberges du Québec situées dans le Centre-du-Québec
    Source : ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
    100 083 tonnes
    Production annuelle de canneberges au Québec (données de 2021)
    Source : ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec