L’usine Papiers Rolland de Saint-Jérôme est menacée par le projet de raccordement du site d’enfouissement de Sainte-Sophie au réseau gazier d’Énergir, qui la priverait définitivement de son précieux approvisionnement en biogaz, et qui est dénoncé par différentes organisations environnementales.

« Ce serait une erreur majeure, qui va nous coûter des millions de dollars et qui met l’entreprise en péril », a déclaré Jean-Sébastien Foisy, vice-président aux opérations de Papiers Rolland, lors de sa comparution mercredi devant la commission d’enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui étudie le projet.

Les emplois de 600 personnes dépendent de l’usine, dont les 300 qui y travaillent directement, a souligné M. Foisy.

L’entreprise, installée à Saint-Jérôme depuis 140 ans, utilise depuis une vingtaine d’années le biogaz généré par la décomposition des déchets du site d’enfouissement de Sainte-Sophie, propriété de Waste Management, pour faire fonctionner ses équipements et fabriquer du papier à partir de matières recyclées – le biogaz lui est acheminé par une conduite appartenant à Énergir réservée à cet usage.

Puisque ce biogaz se serait échappé dans l’atmosphère s’il n’avait pas été capté et brûlé, son utilisation n’est pas comptabilisée comme une émission de gaz à effet de serre (GES), ce qui donne une faible empreinte carbone aux produits de Papiers Rolland.

Mais si le projet est autorisé, la totalité du biogaz du site d’enfouissement sera purifié pour en faire du gaz naturel renouvelable (GNR), qui sera injecté dans le réseau d’Énergir ; Papiers Rolland se verra ainsi privée de son approvisionnement et forcée de consommer du gaz naturel de source fossile, qui lui coûtera plus cher et fera exploser ses émissions de GES, la forçant aussi à acheter des droits de polluer.

« Économiquement, pour nous, ça ne serait pas viable », a déclaré Pascal Meunier, directeur de l’environnement de l’entreprise, aux commissaires du BAPE.

Robinet fermé, gaz gaspillé

Waste Management a cessé de vendre son biogaz à Papiers Rolland en décembre, à l’expiration du contrat entre les deux entreprises, et le brûle dans ses torchères depuis.

Les deux entreprises disent être en discussion pour renouveler le contrat et rétablir l’approvisionnement, mais les pourparlers achoppent sur les « termes de l’entente ».

Waste Management exigerait que Rolland s’engage à ne jamais s’opposer au projet de raccordement de son site d’enfouissement au réseau d’Énergir, a affirmé à La Presse une source proche du dossier qui n’était pas autorisée à en parler publiquement.

Papiers Rolland et Waste Management n’ont pas voulu commenter cette information.

« Je ne négocierai pas les clauses et les conditions publiquement », a déclaré le directeur des affaires publiques de Waste Management, Martin Dussault.

Waste Management écarte l’idée d’alimenter à la fois le réseau d’Énergir et Papiers Rolland, affirmant que la consommation « intermittente » de l’usine serait un casse-tête.

Pourtant, le maintien de l’alimentation en biogaz de l’usine de Papiers Rolland était une des conditions imposées à Waste Management quand le gouvernement Legault a autorisé l’agrandissement du site d’enfouissement, en 2020.

Le décret gouvernemental stipule que l’agrandissement doit être « conforme aux modalités et mesures prévues » dans une série de documents soumis par Waste Management, dont son étude d’impact sur l’environnement dans laquelle elle affirme vouloir « continuer la valorisation énergétique des biogaz à l’usine Rolland ».

Waste Management n’a pas la même « interprétation » des conditions qu’elle doit respecter : « Il est prévu de valoriser 100 % du biogaz, mais le choix de la valorisation nous appartient, c’est très clair dans notre esprit », a déclaré Martin Dussault.

Critiques écologistes

Le projet d’Énergir et de Waste Management est également dénoncé par de nombreuses organisations écologistes, qui y voient un non-sens environnemental.

« C’est déshabiller Pierre pour habiller Paul », illustre Jean-Pierre Finet, analyste en régulation économique de l’énergie pour le Regroupement des organismes environnementaux en énergie.

Papiers Rolland sera privée du biogaz qu’elle utilise pour un usage difficilement électrifiable, et ce biogaz sera transformé en gaz naturel renouvelable pour alimenter des usages qui, eux, pourraient être électrifiés, déplore M. Finet, rappelant que 79 % des usages du gaz naturel au Québec pourraient être remplacés par de l’électricité, a conclu une étude de HEC Montréal.

Pis encore, Waste Management prévoit acheter annuellement à Énergir 6 millions de mètres cubes de gaz naturel, provenant principalement de sources fossiles de l’Ouest canadien, pour produire 60 millions de mètres cubes de gaz naturel renouvelable.

« Le vendeur d’énergie verte carbure à l’énergie brune, raille M. Finet. L’intérêt est financier, pas environnemental. »

Énergir est aussi critiquée parce qu’elle affirme que le projet réduira les émissions de GES du Québec de 124 000 tonnes par année, un calcul qui ne tient pas compte… des émissions que Papiers Rolland générera en n’ayant plus accès au biogaz de Waste Management.

« C’est une forme d’écoblanchiment, s’indigne Jean-Pierre Finet. Au net, la société québécoise n’est pas gagnante. »

Énergir soutient au contraire qu’il est justifié de calculer ainsi les choses, puisque Waste Management allait mettre un terme au contrat d’approvisionnement en biogaz de Papiers Rolland, « que le projet ait lieu ou non », a dit à La Presse Lambert Gosselin, porte-parole du distributeur.

Quelle est la différence entre biogaz, méthane et GNR ?

La décomposition des matières organiques en l’absence d’oxygène, comme dans un site d’enfouissement, génère différents gaz appelés biogaz. Environ 50 % de ces biogaz sont du méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre, qui est aussi un carburant. L’autre moitié est composée principalement de dioxyde de carbone (CO2) et d’une petite quantité d’autres molécules indésirables, comme le sulfure d’hydrogène (H2S), qui donne au mélange son odeur caractéristique d’œufs pourris. Le biogaz peut être brûlé tel quel dans des procédés industriels ou pour fabriquer de l’électricité, mais pour être injecté dans un réseau de distribution de gaz naturel, il doit être expurgé de ses impuretés afin d’atteindre un taux de méthane d’environ 99 %. Ce biogaz purifié est appelé « gaz naturel renouvelable » ou GNR.

En savoir plus
  • 93 %
    Proportion des besoins énergétiques de l’usine de Papiers Rolland qui sont comblés depuis 20 ans par le biogaz provenant du site d’enfouissement de Sainte-Sophie
    Source : Les Entreprises Rolland
    1882
    Année de fondation de Papiers Rolland, à Saint-Jérôme
    Source : Les Entreprises Rolland