On a appris il y a quelques jours qu’un salon funéraire loue un local pour qu’un médecin y offre ce « soin » que représente l’aide médicale à mourir (AMM).

Cette appellation est un euphémisme pour rendre légal ce que nos lois n’auraient pas permis si on l’avait appelé euthanasie ou suicide assisté d’une personne gravement malade, il est bon de se le rappeler1. Sur le même fauteuil, se succéderaient un patient après l’autre arrivé vivant et repartant mort.

Je n’ai rien contre le fait que chacun puisse choisir sa destinée et sa fin de vie. Je respecte les choix de chacun en cette matière. La mort fait partie des grandes étapes de la vie et je ne me sens pas apte à juger comment les gens vivent la maladie, la perte d’autonomie et de capacités et l’approche de la mort. Par contre, je me sens un devoir moral de contribuer à rendre notre société soutenante pour les plus vulnérables, incluant toutes les personnes malades et mourantes.

La grande question qu’on doit se poser comme société est celle-ci : est-ce que tous les gens qui choisissent l’AMM font un choix vraiment libre ?

Si le choix est influencé par le fait que le patient doive vivre un changement de milieu ou n’ait pas accès à de bons soins palliatifs, il n’est pas tout à fait libre, et même pas libre du tout, dans cette période de grande vulnérabilité.

Pendant plusieurs années, j’ai accompagné des gens en soins de longue durée et palliatifs dans une perspective d’amélioration de leur bien-être et de diminution de la solitude. Ils avaient de grands besoins de chaleur et d’humanité, des chiens à flatter, oui, mais aussi quelqu’un qui leur tienne la main. À l’époque, entre 2012 et 2017, j’ai complété un certificat en gérontologie. Il était bien connu que l’offre de soins palliatifs était insuffisante. C’est encore le cas, comme l’a démontré le cas d’Andrée Simard2, 3. Des résidants de CHSLD mourants font parfois le choix difficile de déménager pour avoir accès à des soins palliatifs (c’est presque surhumain !) ou avoir recours à l’AMM. Et encore là… ce service n’est pas offert partout4.

Et si vous souhaitez mourir à la maison ? Les soins à domicile sont insuffisants, quoique variables selon les régions. De même pour l’AMM 5.

Avec toutes ces données, quand vous apprenez que plus de personnes meurent en ayant recours à l’aide médicale à mourir (AMM) au Québec que dans les autres territoires où cette intervention médicale est permise, vous posez-vous des questions6, 7 ? Certains de ces pays ont une longue histoire de légalisation de l’euthanasie (eux utilisent ce mot).

Moi, je m’en pose, des questions. Je pense que nous sommes en train de passer d’une société dans le déni de la maladie et de la mort à une société qui banalise l’euthanasie.

Je suis aussi médecin vétérinaire, une profession qui pratique l’euthanasie d’animaux. Présentement, ma profession, du côté des animaux de compagnie, est dans une mouvance d’humanisation de tous les soins, et en particulier de l’euthanasie, pour laquelle on déplace de moins en moins les animaux. Soit ils ont droit à une case horaire tranquille dans leur clinique habituelle, ou ils sont euthanasiés à la maison. On se questionne aussi beaucoup sur l’impact psychologique d’administrer la mort8. Je vais ici énoncer une évidence : il s’agit d’animaux, et tous ces questionnements sont de plus en plus présents.

Au même moment, on considère l’euthanasie d’une personne humaine comme un « soin », on la banalise comme si c’était un soin comme un autre. Heureusement, Mme Hivon, ex-députée et marraine de la loi sur l’AMM et la ministre Bélanger se sont prononcées sur la commercialisation de cet acte médical9.

Contrairement à ce que certains nous laissent croire, l’euthanasie d’une personne n’est pas un acte banal. Ni pour les soignants ni pour l’entourage du patient. Comme les membres de la Commission sur les soins de fin de vie 10, je souhaite qu’on se demande pourquoi l’AMM est si populaire au Québec. Comme ex-présidente de mon ordre professionnel, je m’attends à ce que le Collège des médecins se positionne, au nom de la dignité des personnes.

Comme femme qui a un vécu de petite-fille et de fille, comme accompagnatrice qui a un vécu en soins palliatifs, comme bioéthicienne, comme vétérinaire portée sur les comparatifs, j’ai envie de nous dire de nous calmer un peu et de réfléchir. Évitons de passer en court laps de temps du déni de la mort au déni des besoins des mourants. Offrons un véritable choix aux gens en fin de vie. C’est une question d’humanité. Celle que nous laissons aux prochaines générations.

1 Lisez un texte d’opinion sur le sujet 2 Lisez un article sur la mort d’Andrée Simard 3 Lisez un article sur la mort d’Andrée Simard 4 Lisez un texte d’opinion sur le sujet 5 Lisez l’éditorial de Nathalie Collard 6 Lisez un texte d’opinion sur le sujet 7 Lisez un article sur le dépôt du rapport 2021-2022 sur l’AMM 8 Lisez un article scientifique rédigé par l’auteure 9 Lisez les réactions de la ministre Sonia Bélanger 10 Lisez l’éditorial de Nathalie Collard Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion