(Québec) La ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, estime qu’il est « vraiment inapproprié » qu’un complexe funéraire de la Montérégie offre à ses clients de louer sa salle d’exposition pour y recevoir l’aide médicale à mourir. « Je suis tout à fait contre ce phénomène qui surgit », déclare-t-elle, demandant à ses équipes de vérifier si cette pratique respecte la loi.

Quand elle a lu La Presse vendredi, Mme Bélanger a vécu « un malaise important » en apprenant que le complexe funéraire Haut-Richelieu offrait à ses clients de recevoir l’aide médicale à mourir dans ses locaux. L’entreprise familiale demande un montant d’environ 700 $ pour louer sa salle d’exposition, aménagée selon les volontés des patients. Le montant déboursé ne sert pas à payer pour le soin, prodigué par un médecin, puisqu’il est couvert par l’assurance maladie. Des groupes comme l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité appuient cette pratique émergente.

« D’entrée de jeu, je suis tout à fait contre ce phénomène qui surgit. […] Je me pose des questions sur l’urgence d’aller offrir ces services », affirme la ministre Bélanger.

« La mission des salons funéraires, c’est d’organiser des funérailles. De rendre hommage. D’organiser des sépultures. Tout le travail en lien avec les cimetières, les rituels et les célébrations. Ils ont une mission qui est importante, mais de faire des liens avec l’aide médicale à mourir, c’est un sujet qui demande énormément de prudence. Je trouve que c’est vraiment inapproprié à ce stade-ci », ajoute-t-elle.

Selon la ministre, les établissements de santé sont tout à fait aptes à offrir le soin, ce qu’elles font déjà. Tout en ayant en tête le respect de la volonté des patients, elle juge que l’engorgement des hôpitaux ne justifie pas pour l’instant que le secteur privé s’implique.

« Il faut vraiment faire attention de mentionner que les hôpitaux sont congestionnés et que pour ça le privé va se tailler une place de choix. Je ne suis vraiment pas là ce matin. Tout au contraire. C’est un processus qui est important et je pense que notre réseau public a ce qu’il faut pour bien faire les choses », dit Mme Bélanger.

« Je ne veux vraiment pas mettre en évidence le fait que le privé va se tailler une place d’affaires [avec l’aide médicale à mourir]. Je suis très inconfortable avec ça », poursuit-elle.

Que dit la loi ?

Dans la Loi concernant les soins de fin de vie, que Mme Bélanger réforme ces jours-ci avec l’étude du projet de loi 11, il est prévu que l’aide médicale à mourir soit offerte « dans une installation maintenue par un établissement, dans les locaux d’une maison de soins palliatifs ou à domicile ». Le terme « établissement » signifie au sens de la loi « tout établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux qui exploite un centre local de services communautaires, un centre hospitalier ou un centre d’hébergement et de soins de longue durée ».

Questionné si l’offre du complexe funéraire Haut-Richelieu respecte la loi, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme qu’il n’est pas en mesure de répondre.

« La question soulevée mérite des réflexions plus poussées et la prise en considération d’éléments qui ne sont pas que juridiques, par exemple sur le plan éthique, déontologique [et] sur les normes de pratiques », dit-on à Québec.

Pour sa part, Sonia Bélanger assure que l’objectif du projet de loi 11 « n’est certainement pas de médiatiser ce processus et encore moins de le commercialiser ».

L’opposition ne veut pas de zone grise

Du côté de l’opposition, les porte-paroles du Parti libéral du Québec (PLQ), de Québec solidaire (QS) et du Parti québécois (PQ) sont tous surpris d’apprendre qu’un salon funéraire offre ses installations pour y recevoir l’aide médicale à mourir.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La députée de Québec solidaire dans la circonscription de Sherbrooke, Christine Labrie

« Il faut se poser les questions, d’autant plus que c’est déjà un service qui est offert à au moins un endroit. […] Moi, j’interprète ça comme une pratique illégale », affirme la députée solidaire Christine Labrie.

« Ça mérite toute une réflexion collective avant de décider d’aller-là. Des services comme ceux-là impliquent de faire une certaine forme de promotion de l’aide médicale à mourir. Je suis extrêmement mal à l’aise par la situation et je voudrais que la ministre clarifie rapidement [ce qu’en dit la loi] avant que d’autres se mettent à développer des services comme ceux-là », demande-t-elle.

Jennifer Maccarone du Parti libéral estime pour sa part que le gouvernement a le devoir d’assurer qu’il n’y ait aucune zone grise dans sa loi. « Ce qui nous inquiète, [c’est] surtout quant aux questions éthiques en ce qui concerne la commercialisation et la promotion de l’aide médicale à mourir », dit-elle.

Pour le député péquiste Joël Arseneau, « les soins de fin de vie, comme tout autre soin de santé, ne sont pas des biens et services de nature commerciale » et le gouvernement ne doit pas « donner un caractère lucratif aux soins entourant la fin de vie ».

Jusqu’où ça ira ?

L’ex-députée Véronique Hivon, que l’on décrit comme la marraine de la loi qui a encadre l’aide médicale à mourir, affirme que la location de salle offerte au salon funéraire de la Montérégie ne respecte pas l’intention du législateur.

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L’ex-députée péquiste Véronique Hivon

« L’aide médicale à mourir est un soin de fin de vie. Ce n’est pas un service qui peut être commercialisé. C’est pour ça que la loi est claire sur les lieux où le soin peut être fait, c’est-à-dire dans un établissement de santé, dans une maison de soins palliatifs ou à domicile », dit-elle.

Mme Hivon plaide aussi qu’une entreprise privée qui offre de louer sa salle pour recevoir le soin « revient à faire directement ou indirectement la promotion de l’aide médicale à mourir ». Selon elle, « la promotion de l’aide médicale à mourir est quelque chose à quoi on ne veut pas assister » et qui doit « en tout temps provenir de la demande d’une personne, accompagnée d’une équipe soignante qui connaît les tenants et aboutissants [du soin] ».