Les incendies de forêt hors de contrôle et un temps sec annoncé pour les cinq prochains jours pour l’ouest de la province inquiètent Québec, qui doit laisser le village forestier de Clova à lui-même, sans aide d’avions-citernes. « C’est du jamais vu », a dit François Legault. Il affirme que les pompiers en auront « pour l’été » pour éteindre tous les brasiers.

« Malheureusement [pour le village de] Clova, on a perdu le contrôle, on va être obligé de laisser brûler Clova », a laissé tomber le premier ministre du Québec lundi lors d’une visite au centre des opérations gouvernementales.

Ce village est intégré à la ville de La Tuque et est situé au sud-ouest du réservoir Gouin, à près de 500 km de Montréal, et compte une trentaine de résidants.

La SOPFEU a toutefois nuancé les propos du premier ministre. « La SOPFEU tient à préciser que la dernière évaluation de la situation de Clova, où l’intensité du feu a dépassé la capacité de combat des avions-citernes, a permis de constater qu’aucune résidence du village n’a encore été détruite par le feu. Certains chalets pourraient cependant avoir été brûlés », a indiqué Stéphane Caron, responsable des communications de l’organisme.

Des pompiers tentent toujours de protéger le village par du travail au sol et de l’arrosage par hélicoptère, mais la situation est « critique » et la SOPFEU pourrait « être obligée de retirer ses équipes pour leur sécurité », a-t-il ajouté.

« Si ça brûle, tout brûle »

À Clova, l’inquiétude monte.

Déjà vendredi, la petite population avait été évacuée en raison des feux qui se faisaient de plus en plus menaçants. Mais la communauté espérait que les pompiers et les bénévoles puissent repousser les flammes et sauver les habitations.

« Pour l’instant, les pompiers de la SOPFEU sont sur place et ils essaient de sauver la ligne électrique du feu. Celle-ci alimente les villes », explique Charlotte Morrissette, gestionnaire des opérations chez Air Tamarac, une pourvoirie de Clova.

Le secteur attire des touristes en été pour la pêche et pour les sentiers de véhicules tout-terrain. Une auberge, un restaurant et une station-service sont installés au cœur du hameau.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPECIALE

Le secteur de Clova attire des touristes en été pour la pêche et pour les sentiers de véhicules tout-terrain. Une auberge, un restaurant et une station-service sont installés au cœur du hameau.

Mme Morrissette a évacué Clova dès que l’avis a été émis, vendredi. Mais d’autres citoyens ont décidé de rester pour surveiller leur maison ou leur chalet, raconte-t-elle. « Les gens sont inquiets. Ils ont peur que ça brûle surtout qu’on est entouré de forêt. Les arbres sont proches des maisons. Donc, si ça brûle, tout brûle. »

Dominic Vincent a justement décidé de demeurer à Clova afin de participer aux opérations contre les feux. Avec d’autres citoyens, il a confectionné des camions-citernes artisanaux. Il s’agit de pick-up rehaussés de réservoirs contenant de 3000 à 5000 litres d’eau.

« On arrose le bord des chemins pour ne pas que le feu traverse », explique celui qui est propriétaire des trois commerces de la municipalité.

M. Vincent se dit surpris par les déclarations du premier ministre François Legault. Selon lui, le feu est en train de passer à l’est de Clova. Quelques chalets ont été détruits dimanche, mais le feu s’éloigne du village. Il ne s’en approche pas, dit-il.

« Peut-être que ce qu’il voulait dire, c’est que s’ils ne maîtrisent pas le feu aujourd’hui [lundi], ils vont le laisser aller. Mais le feu va quand même passer à l’est. Ça prendrait de grands vents pour que ça change », souligne-t-il. M. Vincent ignore combien de chalets ont été incendiés puisque le secteur en question est difficilement accessible à cause de la fumée.

Inquiétude pour l’Abitibi

En plus de Clova, deux villes sont particulièrement menacées : Normétal, et Lebel-sur-Quévillon. À Lebel, les pompiers ont fait « un travail extraordinaire » pour sauver le complexe industriel de pâtes et papiers de Nordicraft en fin de semaine. Mais un second incendie de forêt menace maintenant la ville « par un autre côté ». Et la météo ne donnera pas de répit à ces régions où aucune pluie n’est annoncée dans les prochains jours.

Pour l’instant, près de 10 000 personnes sont toujours évacuées, sur la Côte-Nord et en Abitibi principalement. Il n’y aura pas de réintégration à court terme, car les vents peuvent tout faire changer « rapidement », ont précisé les autorités.

On est devant l’inconnu, comment les vents changent, y aura-t-il une sécheresse prolongée en Abitibi ou non, on est à la merci de la météo.

François Bonnardel, ministre de la Sécurité publique

Sur le terrain, la SOPFEU a une équipe de 480 personnes, et près de100 pompiers français et 100 pompiers américains doivent s’ajouter à cette force de frappe. Le premier ministre a indiqué que le Québec a des ressources pour combattre 30 incendies de forêt simultanément. Il y en a plus 150 actuellement.

La SOPFEU doit donc choisir ses combats, et n’éteint pas vraiment les feux. Ils sont « contenus ». Lorsqu’un feu ne menace plus une communauté, les pompiers passent à un autre appel et ne prennent pas le temps de l’éteindre.

« Si on veut s’assurer que tout soit éteint et qu’éventuellement la forêt cesse de brûler partout, on en a pour l’été », a précisé M. Legault

C’est exceptionnel. C’est du jamais vu qu’il y en ait autant que ça. On peut faire un lien avec les changements climatiques.

François Legault

En plus des communautés qu’elles menacent, ces feux ont deux autres impacts. Au sud, la qualité de l’air est mauvaise et la santé publique recommande de « fermer ses fenêtres » et de ne pas « faire exprès pour faire des activités extérieures ». Et d’un point de vue économique, la capacité forestière du Québec sera réduite. « La où il risque d’avoir beaucoup de dégâts, c’est les pertes qu’on a sur le bois des forêts », a dit M. Legault.

Québec entend également avoir une réflexion au sujet de sa préparation face aux incendies de forêt, qui seront de plus en plus nombreux. « Il y a une tendance à ce qu’il y en ait de plus en plus. Il va falloir se poser ces questions. Est-ce qu’on a besoin de plus d’avions-citernes, de plus de personnel, est-ce qu’on a besoin de faire des travaux pour protéger certaines municipalités [avec des tranchées permanentes] », s’est questionné le premier ministre.

Des écoles fermées en Abitibi

En Abitibi-Témiscamingue, des centres de services scolaires ont annoncé lundi que des cours seront suspendus vu la gravité de la situation des incendies de forêt. C’est le cas du centre de service de l’Or et des Bois, par exemple, qui a annoncé que les écoles secondaires La Concorde, du Centre La Concorde et la Polyvalente Le Carrefour fermeront leur porte pour au moins toute la journée de mardi. Les activités prévues à ces écoles sont aussi annulées ou reportées. « Nous suivons de près l’évolution de la situation et la décision est prise quotidiennement », a fait valoir la direction de l’organisation, dont les établissements accueillent des personnes évacuées. À Normétal, Centre de services scolaire du Lac-Abitibi a aussi confirmé que le pavillon Normétal de l’École Boréale demeurera fermé et que le transport scolaire sera suspendu pour tout le secteur nord.

Henri Ouellette-Vézina, La Presse