Nous avons appris la semaine dernière que plus de personnes meurent en ayant recours à l’aide médicale à mourir (AMM) au Québec que dans les autres territoires où cette intervention médicale est permise. Alors que respectivement 2,3 % et 4,8 % des morts en Belgique et aux Pays-Bas en 2021 étaient issues de demandes d’euthanasie, la tendance actuelle indique que 7 % des morts au Québec en 2022-2023 pourraient résulter de l’aide médicale à mourir.

Qui plus est, plusieurs individus et groupes ont revendiqué une révision des critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir afin de la rendre accessible. Rappelons que la décision de la Cour supérieure du Québec dans le cas Truchon-Gladu a invalidé en 2019 le critère de la mort « raisonnablement prévisible » dans l’évaluation de la recevabilité des demandes d’AMM. En clair, une personne cognitivement apte vivant avec une maladie grave et incurable ayant entraîné un déclin avancé et irréversible de ses capacités et des souffrances qui ne peuvent être apaisées d’une façon qu’elle juge acceptable n’a plus à attendre d’être engagée dans une trajectoire de fin de vie avant de demander l’AMM.

Sensible à cette demande sociale, le gouvernement du Québec a déposé récemment un projet de loi visant à modifier la Loi concernant les soins de fin de vie. S’il est adopté, ce projet de loi :

– ajoutera le handicap neuromoteur grave et incurable aux conditions médicales pouvant donner accès à l’AMM ;

– permettra les demandes anticipées d’AMM pour les personnes ayant reçu le diagnostic d’une maladie neurocognitive qui mènera à l’inaptitude ;

– autorisera les infirmières spécialisées à administrer l’AMM ;

– forcera les maisons et unités de soins palliatifs qui ne le faisaient pas déjà à offrir l’AMM.

Une tendance inquiétante ?

Il est sain de se demander si cette popularité de l’AMM révèle un mal social particulier ou un rapport à la mort trouble. Il est vrai que l’offre chroniquement insuffisante de soins à domicile, de soins de longue durée et de soins palliatifs de qualité peut inciter plusieurs citoyens à considérer sérieusement l’option de l’AMM afin d’éviter de terminer leur vie dans des conditions qu’ils jugeront insatisfaisantes, sinon inacceptables.

Bien que ce phénomène social doive être suivi de près, nous ne croyons pas qu’il témoigne d’un déni de la mort ou d’une non-reconnaissance que la vie humaine inclut le plus souvent une étape ultime marquée par le déclin irréversible des capacités et la dépendance.

Les demandes d’AMM participent d’une volonté de vivre sa fin de vie autant que faire se peut en fonction de ses valeurs, et de demeurer un agent capable d’exercer son autonomie jusqu’à la fin.

La décision de demander l’AMM est généralement précédée d’une discussion, parfois douloureuse, avec les proches. Elle exige également que la personne concernée parle de la mort qu’elle se souhaite avec au moins deux médecins.

Le recours à l’AMM implique une reconnaissance de la saillance du processus du mourir dans la vie humaine. Pour les nombreux contemporains qui, adhérant à une vision séculière du monde, ne croient pas en l’existence d’un au-delà, la possibilité de vivre la dernière ligne droite d’une façon conforme à leurs valeurs contribue au sentiment d’avoir vécu une bonne vie, une vie dotée de sens.

La planification de la mort facilite entre autres les adieux et la présence des êtres chers dans les derniers moments. Comme le philosophe Samuel Scheffler l’a soutenu, la personne humaine a généralement des intérêts posthumes. Plusieurs d’entre nous souhaitent entre autres que nos proches gardent une certaine image de nous en souvenir.

Si la demande d’exercer un plus grand contrôle sur sa fin de vie témoigne de la volonté des Modernes d’étendre leur maîtrise sur la nature et leur destin, elle ne doit pas être confondue avec le fantasme posthumaniste de « vaincre la mort ». La possibilité d’exercer son autonomie peut contribuer à l’acceptation de la mort à venir. Comme rapporté dans une étude à paraître, plusieurs proches aidants constatent que la personne qu’ils ont accompagnée est devenue plus sereine une fois sa demande d’AMM acceptée. « Qu’il ait pu choisir comment il allait partir », a déclaré l’une des participantes, « l’a apaisé »⁠1.

Notre position n’est pas que toutes les demandes d’élargissement de l’AMM doivent être acceptées ni que l’AMM soit nécessaire à une bonne mort. Elle est plutôt qu’une conception de la vie bonne inclut normalement une conception de la bonne mort, et que les conceptions de la vie bonne sont plurielles dans les démocraties libérales. L’État doit, tout en protégeant les personnes vulnérables, permettre autant que possible aux personnes de demeurer des agents moraux jusqu’à la fin.

1. « Étude exploratoire sur l’expérience des familles dont un membre est décédé en contexte d’aide médicale à mourir au Québec », Isabelle Dumont, Intervention, no 156, printemps 2023

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