Le reportage préparé par l’équipe d’Enquête, diffusé le 9 février sur les ondes de Radio-Canada, a de quoi faire réfléchir. Les demandeurs d’asile sont lourdement préjudiciés par les délais interminables d’émission de leur permis de travail. La machine fédérale, on le sait, est détraquée, et les demandeurs d’asile en paient le prix, condamnés à la précarité, à la vulnérabilité et à la survie.

Malheureusement, nous n’en sommes pas au premier scandale ni à la première tragédie en lien avec les demandeurs d’asile. On n’a qu’à se rappeler la tragique mort d’un homme survenue en janvier dernier aux abords du chemin Roxham. Le chamaillage incessant entre les ordres de gouvernement et la lenteur de la bureaucratie ne sont pas sans provoquer de heurts. Ils demeurent trop souvent source de désespoir et causent des dommages collatéraux graves et irréparables.

Un port d’entrée officieux

Au-delà des ratés gouvernementaux, reste que près de 40 000 personnes seront entrées au Canada par ce célèbre chemin en 2022 (sans compter ceux qui gagnent le territoire par voie aérienne), et, de ce nombre, beaucoup resteront au Québec. Elles seront prises en charge par l’État (allocation de subsistance, aide au logement, soins de première nécessité) et par des organismes communautaires mandatés ou non pour les accueillir (bon nombre agissent bénévolement en dehors de tout financement). Saluons d’ailleurs le geste louable de la ministre Chantal Rouleau qui leur a consenti tout récemment une aide exceptionnelle de 3,5 millions de dollars en réponse à leur retentissant cri du cœur, réclamant une aide pressante.

Tous les intervenants terrain le confirment : les demandeurs d’asile veulent travailler et intégrer le marché du travail le plus rapidement possible. Pour preuve, le Salon de l’emploi organisé à leur intention en décembre dernier a été pris d’assaut en recevant un achalandage inattendu.

On comprendra ainsi que le fédéral, tardant à délivrer les permis de travail, les condamne à la clandestinité, à l’illégalité et à l’insécurité. Le travail au noir se présente souvent comme l’unique porte de sortie, faisant les choux gras des agences de placement aux techniques glauques et à l’éthique douteuse.

On devine la suite. Pénurie de main-d’œuvre aidant, les demandeurs d’asile s’embarquent dans une spirale d’emplois aux conditions abominables, au péril de leur santé et de leur sécurité, et au mépris de leurs droits. Ces bassins de personnes fragiles se muent en une solution facile et accommodante. Ils ne connaissent pas leurs droits ni le fonctionnement du marché du travail : ils sont souvent en choc et souffrent d’une perte de repères.

La part de responsabilité du Québec

Le fédéral ne serait pas le seul acteur à pointer du doigt. L’état de vulnérabilité de ces personnes résulte également des angles morts issus des politiques publiques québécoises. Il faut savoir qu’au Québec, un demandeur d’asile sera accompagné à son arrivée, aidé à s’installer et bénéficiera des aides de subsistance. Toutefois, tant qu’il n’aura pas obtenu le statut de réfugié, donnant ainsi ouverture à la résidence permanente (s’il l’obtient, après plusieurs mois/années d’attente), il n’aura pas droit à l’entièreté des services.

Les effets de ce délai de carence imposé par Québec peuvent être terribles. Il pourra s’écouler facilement jusqu’à trois ans, si ce n’est plus, pendant lesquels un demandeur d’asile sera privé de services. On parle de quoi au juste ? Des services liés à l’accompagnement pour les recherches d’emploi, à des formations visant à parfaire/rehausser les compétences et à favoriser un parcours professionnel structuré, légal et organisé. Mais aussi, plus surprenant encore, de l’accès aux services de garde subventionnés. Comment le gouvernement québécois peut-il raisonnablement penser qu’un demandeur d’asile sera en mesure d’assumer le coût des services de garde privés ?

En faire davantage

Il est clair que l’accompagnement en amont des demandeurs d’asile leur permettrait d’être mieux outillés, en plus de les aider à mieux comprendre leurs droits et à assurer leur protection.

Certes, la décision annoncée par la ministre Rouleau aura été un pas dans la bonne direction. Mais il faudra faire davantage et adopter des politiques d’accueil garantissant aux demandeurs d’asile un accès à tous les services publics susceptibles de les soustraire aux aléas du travail illégal, à les protéger convenablement et à leur éviter le piège des agences de placement malhonnêtes et autres fraudeurs ou profiteurs de tout acabit.

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