Comment faire du français la langue commune si tout le monde comprend l’anglais, la langue aussi de presque un million de nos concitoyens ?

J’aime l’anglais. J’ai reçu toute ma formation en anglais, à New York, où j’ai grandi. En plus de mes fonctions à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), je suis aussi adjunct professor à McGill. J’aime lire les polars british.

Cependant, quand je sors de ma maison ou de mon bureau, c’est le français que je parle spontanément en entrant dans un commerce ou un autre lieu public. C’est un choix. Je le vois depuis toujours comme mon devoir civique. À mon arrivée à Montréal, il aurait été plus facile pour moi d’utiliser l’anglais. La présence de l’anglais à Montréal ne date pas d’hier. Ce qui a changé est la montée de l’anglais comme langue essentielle.

L’anglais, devenu une matière de base

L’anglais n’est plus une langue comme une autre. Apprendre l’allemand, l’espagnol ou toute autre langue est toujours utile. Il faut encourager l’apprentissage des langues. Cependant, l’anglais n’est plus seulement une langue. Elle est devenue une compétence obligée comme les maths, langue des nouvelles technologies, langue du commerce international, langue seconde normale de la jeunesse européenne… Quel parent québécois ne voudrait pas, aujourd’hui, que ses enfants apprennent l’anglais ?

Le recensement de 2021 nous dit que 52 % des Québécois comprennent l’anglais (73 % pour l’île de Montréal), chiffres à la hausse depuis 2001 (à titre de comparaison, 11 % des Ontariens comprennent le français).

Nous devons nous en réjouir ; nous voulons – n’est-ce pas ? – que nos jeunes aussi s’approprient cet outil essentiel du monde moderne : plus de 90 % des Néerlandais, plus de 70 % des Autrichiens et même plus de 55 % des Français comprennent aujourd’hui l’anglais selon différentes sources, chiffres partout à la hausse. Nous pouvons déjà entrevoir un avenir où l’anglais sera compris par la grande majorité des Québécois et probablement par plus de 90 % des Montréalais. On n’est pas plus fous que les Néerlandais.

Le dilemme

Nous voilà aujourd’hui devant une apparente contradiction : vouloir limiter l’usage d’une langue dont nous voulons aussi encourager l’apprentissage. Deux conséquences en découlent, la première bureaucratique, moins grave, la deuxième plus grave. Demander aux entreprises, comme le fait la loi 96, de justifier la connaissance de l’anglais comme critère d’embauche est devenu absurde, une tracasserie inutile. Trouvez-moi un emploi le moindrement exigeant où l’anglais n’est pas un atout. Se trouve-t-il un journaliste à La Presse qui ne comprend pas l’anglais ? Cessons de confondre langue de travail et outil de travail. À l’INRS, le français est la langue de travail (langue des assemblées, langue entre collègues…), mais la connaissance de l’anglais (langue des grandes revues scientifiques) est une exigence absolue pour les professeurs et étudiants des cycles supérieurs.

La montée de l’anglais comme outil de travail ne serait pas un problème si le français était vraiment la langue commune. Même si tous les jeunes Néerlandais parlent l’anglais, le néerlandais demeure la langue entre Néerlandais, employée spontanément dans l’espace public. La différence québécoise (montréalaise surtout) est là.

Nous avons une population dont l’anglais est la langue première et qui a le droit de l’employer. Tout nouveau venu voit rapidement que l’anglais s’utilise partout. Or, pourquoi, surtout s’il possède déjà des notions d’anglais, apprendre le français si tout le monde comprend l’anglais, qui en plus est la langue d’une bonne partie de la population ?

Certes, apprendre le français, du moins acquérir des bases, peut être utile (obligatoire pour certaines professions) ; mais rien n’empêchera notre nouveau venu d’adopter (ou de garder) l’anglais comme sa principale langue publique.

Et enfin, dans un univers où tout le monde (ou presque) comprend l’anglais, n’est-ce pas naturel que l’anglais soit, encore plus souvent qu’aujourd’hui, la langue employée entre francophones et anglophones ?

Concilier « droit » et « devoir civique »

Comment alors faire du français la langue commune des Montréalais, parlée spontanément entre nous, peu importe nos origines ? La réponse ne peut se concevoir sans l’adhésion de la communauté anglophone. J’ai parlé de devoir civique pour cause. Comme communauté minoritaire, la protection de droits linguistiques restera nécessairement une préoccupation ; il ne s’agit point de les nier. Cependant, est-ce utopique d’envisager un Montréal où nos concitoyens anglophones voient désormais aussi comme leur civic duty d’employer le français comme langue publique (je fais abstraction des services de santé et autres services publics où le droit d’employer l’anglais doit rester protégé) ? Cela doit commencer par l’école : un système anglophone qui assure désormais que les jeunes en sortant du secondaire ne soient pas seulement parfaitement à l’aise en français, mais le perçoivent comme aussi leur langue (avec l’anglais) qu’eux aussi ont le devoir de promouvoir, en commençant par son utilisation dans l’espace public.

L’initiative d’un tel changement de perception (et de discours) doit nécessairement venir des leaders d’opinion de la communauté anglophone (je pense par exemple aux éditorialistes du Montreal Gazette). Là encore, est-ce utopique de rêver à la communauté anglo-québécoise comme alliée désormais dans la bataille pour faire du français la langue commune du Québec ?

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