La moitié des Inuits du Nunavik vivent dans un logement surpeuplé. Deux classes d’enfants de 13 ans n’ont pas eu de professeur de septembre à janvier. Les Inuits courent des risques 40 fois plus élevés de mourir d’un trauma. Parce que les Inuits vivent dans le Nord, on oublie malheureusement leurs enjeux sociaux et la piètre qualité des services publics qu’on leur offre. On ne devrait pas. Voici une série de trois éditoriaux pour améliorer l’éducation, les soins de santé et le logement au Nunavik. Aujourd’hui : l’éducation

En septembre dernier, il manquait une centaine de professeurs dans les écoles au Québec. Les suppléants se sont succédé dans certaines classes pendant des semaines. Devant le tollé, le gouvernement Legault était – avec raison – sur la sellette.

Puis, début janvier 2023, notre collègue Ariane Lacoursière a sorti une nouvelle troublante : une douzaine d’enfants de 13 ans n’ont pas de prof pour la quasi-totalité de leurs cours depuis… le début de l’année scolaire. Pas de prof régulier. Pas de suppléant. Personne. Les enfants ne vont donc presque pas à l’école.

Soyons clairs : ces enfants n’obtiennent pas l’éducation qui leur est garantie par la loi.

Y a-t-il eu une levée de boucliers dans l’opinion publique ? Non. Le gouvernement Legault a-t-il été talonné pour trouver des solutions ? Non. Pourquoi ? On va le dire sans mettre de gants blancs : parce que cette histoire désolante se déroule dans la communauté d’Akulivik, au Nunavik.

Ce n’est pas la seule classe fermée cette année au Nunavik parce qu’il n’y a pas d’enseignant. Les élèves de 7e année d’Inukjuak n’ont pas fréquenté l’école de septembre à janvier. (Heureusement, on vient tout juste de trouver un prof à Inukjuak et un autre à Akulivik.) À Kuujjuaq, une classe de premier cycle au primaire a fermé pour deux semaines parce qu’il n’y avait pas de prof. D’autres ruptures de service ont lieu pour certains cours (ex. : maths, sciences).

Si ça se déroulait à Sherbrooke, à Rimouski ou à Sept-Îles, on en parlerait tous les jours, et le ministre de l’Éducation passerait un très mauvais quart d’heure.

Dans les 14 villages du Nunavik : circulez, il n’y a rien à voir.

Pourtant, c’est très inquiétant. Selon la commission scolaire Kativik, ces ruptures de service font en sorte que les élèves prennent du retard scolaire et se découragent, particulièrement au secondaire. « [Les élèves] nomment qu’ils se sentent ignorés et dévalorisés par le fait que “personne ne veut venir leur enseigner” », indique la commission scolaire Kativik par courriel. Relisez cette déclaration une deuxième fois, ça en vaut la peine pour saisir l’importance du problème…

Face aux communautés autochtones, particulièrement aux Inuits dont les conditions de vie sont très difficiles, nous sommes coupables, comme société, d’indifférence. Une indifférence désolante, moralement indéfendable, et qui doit cesser.

Les enjeux sociaux au Nunavik sont nombreux et complexes. La moitié des 13 000 Inuits vivent dans un logement surpeuplé. Le taux de suicide est 13 fois plus élevé que dans le reste du Québec. Le taux de diplomation et de qualification au secondaire (après sept ans) est de 23 % au Nunavik, contre 82 % au Québec.

Le strict minimum pour le gouvernement du Québec, c’est d’offrir aux Inuits des services publics de qualité au moins équivalente à ce qui est offert à tous les Québécois.

Oui, il y a une pénurie de profs partout au Québec. Devinez où elle frappe le plus fort ? Au Nunavik, où la commission scolaire Kativik est incapable de pourvoir 11 % de ses postes d’enseignants (62 postes vacants sur 546), comparativement à 2 % à Montréal.

Ça fait des années qu’il y a de moins en moins d’enseignants « du sud » intéressés à venir enseigner aux jeunes Inuits. Pour la première fois cette année, on est incapable de faire le strict minimum : trouver un enseignant par classe pour tous les enfants inuits.

On comprend que ce n’est pas simple de recruter des profs pour enseigner au Nunavik.

Québec peut toutefois faire un geste qui aiderait à court terme : permettre aux enseignants qui vont au Nunavik de ne pas perdre leur ancienneté dans leur centre scolaire « au sud ». Ce n’est pas toujours le cas actuellement. Il faudrait négocier avec les syndicats, mais la décence exige que les deux parties s’entendent rapidement là-dessus, sans attendre le renouvellement des conventions collectives. Une douzaine d’enfants d’Akulivik attendent d’avoir un prof, en contravention de la loi.

À moyen et à long terme, pour améliorer l’éducation au Nunavik, il y a beaucoup d’autres mesures à adopter, en collaboration avec les communautés inuites, en discutant de nation à nation.

Il faut viser à ce que le taux de diplomation au secondaire augmente, tout en reconnaissant que cet enjeu social et les solutions pour y faire face dépassent largement les murs de l’école.

Pour les 23 % d’Inuits qui obtiennent leur diplôme, il faut leur offrir l’option de continuer leurs études professionnelles ou collégiales au Nunavik, plutôt que d’être déracinés « dans le sud ». On doit développer l’école virtuelle et offrir davantage de formations sur place adaptées aux besoins du Nunavik. Comme la formation des sages-femmes inuites, un programme qui fonctionne très bien depuis des décennies.

La complexité de la situation ne doit pas nous servir d’excuse pour fermer les yeux sur les enjeux scolaires au Nunavik.

Surtout quand on n’est pas capable de fournir un prof dans chaque classe.

Lisez le reportage d’Ariane Lacoursière : « Des enfants privés d’école depuis septembre »

L’éducation au Nunavik

En vertu de la Convention de la Baie-James, les Inuits ont le droit d’avoir des programmes qui leur sont propres. De la maternelle à la troisième année du primaire, les enfants du Nunavik suivent leurs cours en inuktitut, leur langue maternelle. En quatrième année du primaire, ils choisissent une langue seconde (le français ou l’anglais). Ils suivront tous leurs cours (langue seconde, maths, sciences, histoire, etc.) dans cette langue seconde, tout en continuant d’avoir des cours d’inuktitut et de culture inuite jusqu’à la fin du secondaire.

À lire demain : Les soins de santé

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