Pendant que les pays les plus nantis se démènent pour sécuriser leurs frontières, la majorité des personnes réfugiées dans le monde tentent de survivre dans des camps ou dans les centres urbains des pays les plus pauvres1, souvent ceux de l’autre côté de la frontière du pays qu’elles ont dû quitter.

Pourtant, l’attention médiatique et le discours actuel – à titre d’exemple, parce qu’il y en a d’autres – comme celui du chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon quant au chemin Roxham renforcent des stéréotypes quant aux personnes qui migrent vers le Québec.

En utilisant des termes comme « montée de l’extrémisme » ou « crise sociale » quand il est question des migrants aux frontières2, il nourrit un nationalisme identitaire inquiétant, déforme la réalité et tente de se créer au passage un capital politique concernant des enjeux dont sa compréhension est lacunaire. L’une des raisons qui explique pourquoi chaque année des personnes risquent leur vie en empruntant des itinéraires dangereux, qui nécessitent souvent l’aide de passeurs, est justement la fermeture excessive des frontières3.

Selon la Convention de Genève de 1951, un réfugié est une personne qui craint (avec raison) d’être persécutée du fait de « sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques4 ».

En plus de porter la charge de prouver la persécution vécue, elle doit projeter l’image que les pays d’accueil se font d’une « bonne » personne réfugiée, soit qu’elle est vulnérable et doit être secourue par les pays dits « développés ».

Outre les difficultés subies par toutes les personnes demandeuses d’asile, s’ajoute spécifiquement, pour les femmes, l’absence de persécution liée au genre dans la définition de la Convention de Genève. C’est par la lentille de « l’appartenance à un groupe social » qu’elle est prise en considération. Pourtant, il n’y a ni consensus ni compréhension commune de ce que représente un « groupe social », ce qui fait que son application est floue5.

Des failles dans la Convention de Genève

En plus d’occulter certaines violences que vivent les femmes, cette définition a pour effet de catégoriser des réalités plurielles et complexes qui ne peuvent être « traitées » comme étant du pareil au même depuis 1951.

Je ne dis pas, ici, que la Convention de Genève n’a pas son bien-fondé, mais bien qu’elle a des failles qui sont amplifiées par des gouvernements et des procédures qui traitent les personnes migrantes comme des criminelles ou sans agentivité, nourrissant ainsi leur exclusion et leur stigmatisation.

Barsalou et Sipowo expliquent dans leur article « Les crises migratoires globales à l’aune de la raison souveraine », que « [d]ans le droit international des migrations, les concepts connotent souvent plus la prégnance de la souveraineté que la volonté de protection des personnes. Les catégories permettent à l’État de limiter sa responsabilité en qualifiant, requalifiant ou créant de nouvelles catégories6 ».

Le chemin institutionnalisé des demandes d’asile est ainsi couvert d’obstacles. Les femmes doivent, par exemple, fournir des preuves matérielles de la violence qu’elles vivent – violence encore traitée comme une « affaire » relevant du privé, ce qui fait qu’elles ne dévoilent pas leur vécu, et lorsqu’elles le font, elles ne sont pas prises au sérieux. Pourtant, c’est tout particulièrement leur crédibilité qui est en jeu.

Pour ajouter à l’ironie, certaines femmes qui sont victimes de violence conjugale sont interviewées dans la même pièce que leur conjoint7. Comment peuvent-elles réellement raconter leur histoire dans de telles conditions ? Cela n’est malheureusement qu’une infime partie des incohérences quant à l’application des lois en termes de migration.

À toutes les personnes détenant des pouvoirs politiques, sociaux ainsi qu’économiques et qui ne connaîtront jamais la migration forcée, un appel de conscience vous est nécessaire. Étant donné vos privilèges et votre vision du monde obtuse, vous pourriez commencer par écouter les voix de ces personnes qui vivent réellement ces parcours migratoires pour qu’elles vous enseignent un peu d’humanité. Elles étaient 89,3 millions dans le monde à la fin de 20218.

1 Jane Freedman. (2019). « Grand Challenges : Refugees and Conflict. » Frontiers in Human Dynamics, 1, p. 1-3.

2 CogecoMedia -98,5 FM, 26 janvier 2023 : Paul St-Pierre Plamondon (chef du Parti québécois) parle du chemin Roxham et de l’immigration au Québec.

3 Jane Freedman. (2019). « The uses and abuses of “vulnerability” in EU asylum and refugee protection : protecting women or reducing autonomy. » Papeles del CEIC, 2019(1), p. 1-15.

4 Consultez le rapport Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés de l’Agence des nations unies pour les réfugiés (UNHCR)

5 Jane Freedman. (2019). « The uses and abuses of “vulnerability” in EU asylum and refugee protection : protecting women or reducing autonomy. » Papeles del CEIC, 2019(1), p. 1-15.

6 Olivier Barsalou et Alain-Guy Sipowo. (2018). « Les crises migratoires globales à l’aune de la raison souveraine. » Études internationales, 49(2), p. 231-260.

7 Jane Freedman. (2019). « The uses and abuses of “vulnerability” in EU asylum and refugee protection : protecting women or reducing autonomy. » Papeles del CEIC, 2019(1), p. 1-15.

8 Consultez l’article de l’Agence des nations unies pour les réfugiés (UNHCR) sur le sujet Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion