Le 26 janvier dernier paraissait dans La Presse un article intitulé « Un congé de paternité pour chaque père, tranche le tribunal1 » qui relatait qu’un juge d’un tribunal administratif du Québec (TAQ) avait accordé à un couple d’hommes ayant eu recours à une mère porteuse aux États-Unis deux prestations de congé de paternité au lieu d’une seule. Le TAQ appuyait sa décision sur le fait que ces hommes étaient discriminés par rapport à des parents adoptants.

Étant donné qu’ils avaient eu recours à une gestation pour autrui (GPA) aux États-Unis, l’état civil québécois les a considérés comme un couple qui aurait un enfant sans avoir recours à une GPA ni à une adoption.

C’est pourquoi l’avocat du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale a plaidé en se référant aux prestations de « grossesse et naissance » du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) qui prévoit une seule prestation de paternité. Le juge s’est plutôt référé aux « prestations d’adoption » (une prestation par parent)2.

Cette comparaison tient-elle ?

Le législateur avait augmenté en 2019 le nombre de semaines de prestation pour les parents adoptants : « Pour que les enfants adoptés, qui ont des besoins énormes, puissent bénéficier d’au moins un an de présence de leurs parents à leurs côtés », selon Véronique Hivon. La Loi sur l’assurance parentale (LAP) n’a pas prévu de dispositions spécifiques à la GPA3.

Est-il discriminatoire de ne pas faire une équivalence entre le nombre de semaines de prestations prévues pour l’adoption et celles prévues pour « grossesse et naissance » dans les cas de GPA ?

En 2021, un couple de Nouvelle-Écosse ayant recouru à une GPA contestait la loi canadienne de l’impôt sur le revenu, invoquant une discrimination qui les privait de déductions auxquelles des parents adoptifs ont droit. En appel, la Cour canadienne de l’impôt (CCI) a rejeté l’équivalence entre les modèles de parentalité recourant à l’adoption et ceux recourant à la GPA.

Le juge de la CCI a déterminé que les dépenses liées à la GPA allaient à l’encontre de l’objectif du crédit d’impôt pour frais d’adoption : offrir un incitatif fiscal aux parents ayant recours à l’adoption d’enfants vulnérables. Contrairement au juge du TAQ, l’analyse de cet objectif et la différenciation des moyens utilisés pour former une famille ont permis au juge de la CCI de déterminer qu’il n’y avait pas eu discrimination.

Rappelons que l’adoption constitue une mesure de protection de l’enfance visant à fournir une famille à un enfant vulnérable dont les besoins énormes ont été reconnus par le législateur. Offrir les mêmes congés pour une parentalité obtenue par GPA implique une reconnaissance que ces enfants subissent aussi des préjudices. Or, comment le législateur pourrait-il trouver moralement acceptable la GPA qui organise volontairement des préjudices à un enfant avant sa conception ? La psychothérapeute spécialiste de l’adoption, Johanne Lemieux, soulignait les défis d’attachement et les différents deuils auxquels l’enfant adopté devra faire face toute sa vie à la suite de la séparation d’avec sa mère biologique. De son point de vue, l’enfant né de GPA est lui aussi séparé de sa mère biologique à sa naissance et remis à des personnes inconnues pour lui.

Les 18 semaines de congé de maternité

Dans le même article, on fait aussi ressortir qu’un couple québécois ayant eu recours à une mère porteuse ontarienne souhaitait se prévaloir des prestations de congé de maternité⁠4. Ce dernier vise des objectifs distincts du congé parental. Les mères obtiennent ces congés (non partageables) pour bénéficier des conditions les plus favorables au déroulement des processus physiologiques de la grossesse, de l’accouchement, des relevailles et de l’allaitement qui sont importantes à protéger. Ajoutons que le paiement de ces congés est prévu pour des grossesses de femmes québécoises au Québec et que, dans le cas relaté par La Presse, la grossesse avait été menée en Ontario.

Il est regrettable de constater que les tribunaux imposent ainsi au gouvernement des décisions qui détournent les prestations du RQAP de leurs objectifs tout en court-circuitant les processus démocratiques.

Ces mesures sociales visent à protéger la santé et le bien-être des mères et des enfants, à permettre aux femmes engagées sur le marché du travail de bénéficier d’un revenu compensatoire avant et après leur accouchement, à favoriser l’engagement des pères auprès de leurs enfants et à protéger les enfants vulnérables issus de l’adoption.

En terminant, rappelons que le marché ontarien et le tourisme international reproductif de la GPA convoitent le bassin de mères porteuses québécoises justement pour les généreux incitatifs gouvernementaux dont peuvent se prévaloir les parents et les mères porteuses, favorisant la croissance et les profits de cette industrie par le biais de subventions indirectes. Ironiquement, les contribuables québécois subventionnent l’effort de natalité de pays étrangers, car certains de leurs citoyens font déjà appel aux mères porteuses québécoises admissibles au RQAP.

1. Lisez le texte de Véronique Larocque 2. Consultez les grandes lignes du Régime québécois d’assurance parentale

3. L’article 541 du Code civil ne reconnaît pas la validité des contrats ; la pratique de la GPA ayant été jugée comme une atteinte à la dignité humaine.

4. Références : article 7 de la LAP et articles 36 et 38 du RALAP : les prestations de maternité sont accordées pour permettre à la mère de se remettre de sa grossesse et de son accouchement.

* Cosignataires : Ghislaine Gendron, co-coordonnatrice pour le Québec du WDI (Déclaration internationale des droits des femmes), coautrice du livre Ventres à louer : une critique féministe de la GPA (éditions L’échappée, 2022) ; Lise Boivin, féministe

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