Cinq semaines chacun. Deux pères se sont battus pour que le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) leur accorde 10 semaines de congé de paternité – plutôt que cinq – à passer avec le bébé qu’ils ont eu après un recours à une mère porteuse. Le Tribunal administratif du Québec leur a donné gain de cause, corrigeant un « traitement discriminatoire » aux yeux des deux pères.

La vie de Gabriel Destrempe Rochette et de son conjoint a changé en mars dernier. Ils ont enfin fait la rencontre de leur fils, né d’une mère porteuse aux États-Unis.

De retour au pays, les deux pères ont demandé chacun cinq semaines de prestations de congé de paternité. À leur étonnement, une seule des deux demandes a été acceptée. « Je me disais, on est deux pères sur le certificat de naissance [délivré aux États-Unis], le RQAP va nous reconnaître nos congés de paternité », raconte Gabriel Destrempe Rochette.

Au fil des discussions avec les agents du RQAP, celui qui est avocat de profession comprend que si sa demande a été refusée, c’est qu’un seul des deux pères peut obtenir les cinq semaines de congé de paternité.

Le couple peut toutefois partager les 32 semaines de congé parental, pour un total de 37 semaines. Ce nombre est moins élevé que les 55 semaines offertes aux parents qui donnent naissance à un bébé ou à ceux qui adoptent un enfant.

Sur le site web du RQAP, des tableaux de prestations montrent d’ailleurs les semaines accordées après un accouchement et lors d’une adoption, mais aucun ne détaille le nombre de semaines attribuées dans le cas d’une grossesse pour autrui qui n’est pas suivie d’une adoption (ce qui est le cas quand les deux pères figurent au certificat de naissance).

Questionné sur ce nombre par La Presse, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a fait parvenir cette réponse par courriel : « Suivant la Loi sur l’assurance parentale, la naissance d’un enfant donne droit à un maximum de 5 semaines de prestations exclusives (au père ou au deuxième parent qui n’a pas donné naissance), et un maximum de 32 semaines de prestations parentales partageables entre les deux parents dont la filiation est reconnue à l’acte de naissance. »

C’est d’ailleurs la position qu’a défendue le Ministère devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui était invité à se pencher pour la première fois sur une demande de congé de paternité pour chacun des pères d’un enfant né d’une grossesse pour autrui (aussi appelée gestation pour autrui ou GPA).

De son côté, Gabriel Destrempe Rochette a soutenu que cinq semaines de prestations de paternité devaient être accordées par père et non par naissance.

Le TAQ a estimé que la loi devait être interprétée dans le sens plaidé par Gabriel Destrempe Rochette.

« Moment crucial »

Dans sa décision rendue en novembre, le Tribunal rappelle que le but de la Loi sur l’assurance parentale est « d’assurer un remplacement du revenu à un parent afin de lui permettre d’être proche de son enfant au début de sa vie, moment crucial pour nouer des liens affectifs ».

Il indique que la position du Ministère « a pour résultat que, dans certains cas, des enfants seront privés de la présence [d’un] parent, qui devra travailler ».

Le TAQ indique aussi qu’il est « difficile de comprendre pourquoi » le Ministère accorde cinq semaines de prestations à deux parents adoptants, mais pas à ceux qui ont recours à la GPA.

Gabriel Destrempe Rochette est très heureux du jugement rendu et espère que celui-ci aidera d’autres familles. Il se demande toutefois combien de parents dans sa situation ont été privés de temps avec leur enfant parce qu’ils n’avaient pas les outils ou la force d’entreprendre des démarches judiciaires.

« Il n’y a pas juste un modèle de famille avec un papa, une maman, un petit garçon et une petite fille. Il y a plein de modèles de famille au Québec. Je pense que c’est bien que l’ensemble des modèles soient reconnus et aient les mêmes droits, toujours dans l’intérêt de l’enfant », affirme le jeune père.

Demande de révision

Informés de la récente décision du TAQ, Julie-Yan Fontaine et son conjoint Mathieu Blanchette ont déposé une demande de révision de leur dossier au RQAP. Le couple du Lac-Saint-Jean, qui a eu recours à la grossesse pour autrui en Ontario, espère que cette démarche lui permettra de passer avec son petit Tristan, 11 mois, quelques semaines de plus que les 37 accordées pour le moment.

Si le couple a eu recours à une femme porteuse pour réaliser son rêve d’avoir un enfant, c’est pour des raisons de santé, explique la mère qui a déjà dû interrompre une grossesse à 20 semaines. « Les médecins m’ont dit que ce serait mieux que je n’aie plus de grossesse et que je me tourne vers une grossesse pour autrui. »

PHOTO FOURNIE PAR MATHIEU BLANCHETTE

Mathieu Blanchette, Julie-Yan Fontaine et le petit Tristan

Le couple a choisi d’avoir recours à la fécondation in vitro. « Biologiquement parlant, la mère, c’est 100 % Julie-Yan », souligne Mathieu Blanchette.

Malgré cela, Julie-Yan Fontaine n’a eu droit à aucune des 18 semaines de prestations de congé de maternité puisque celles-ci sont réservées aux mères qui accouchent. Comme pour Gabriel Destrempe Rochette, on lui accordait seulement des semaines de congé parental.

« “Vous êtes un cas particulier.” » C’est toujours ça que je me faisais dire », raconte la mère au sujet de ses discussions avec les agents du RQAP.

À la suite de la décision du TAQ, le RQAP va-t-il revoir le nombre de semaines accordées aux familles qui ont recours à une grossesse pour autrui ? « Le Régime québécois d’assurance parentale prend acte de cette décision et entend s’y conformer. Des travaux sont en cours pour déterminer les implications de ce jugement », a répondu, par courriel, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

* Le nombre de semaines présentées dans l’article correspond à celles du régime de base du RQAP.

La grossesse pour autrui, une pratique légale au Québec ?

La grossesse pour autrui n’est pas illégale au Québec, rappelle Me Doreen Brown, avocate spécialisée en droit de la famille. « Au Canada, ce qui est illégal, c’est de payer pour un enfant. On a toutefois le droit de rembourser les dépenses de la femme porteuse », explique-t-elle. Si des couples québécois choisissent d’aller dans d’autres provinces canadiennes ou aux États-Unis pour avoir recours à une grossesse pour autrui, c’est que la pratique n’est pas encadrée par la loi au Québec pour le moment. L’entente entre une femme qui accepte de porter un bébé pour un couple et ce dernier n’a aucune valeur. Autre différence : ailleurs au Canada et aux États-Unis, les noms des parents d’intention peuvent être inscrits sur l’acte de naissance, ce qui n’est pas le cas au Québec à l’heure actuelle. Dans la province, le parent non biologique doit adopter l’enfant.

« On veut un traitement égalitaire »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Mona Greenbaum, fondatrice et directrice générale de la Coalition des familles LGBT+

Bien qu’elle salue la « victoire » de Gabriel Destrempe Rochette et de son conjoint devant le Tribunal administratif du Québec, Mona Greenbaum, fondatrice et directrice générale de la Coalition des familles LGBT+, estime que le couple aurait dû demander plus de semaines de prestations que les deux congés de paternité qu’il a obtenus.

« Ils ont réussi. Mais ils ont quand même juste 42 semaines. Tous les autres enfants au Québec ont 55 semaines avec leurs parents. […] Ils n’ont pas demandé suffisamment, selon moi », affirme-t-elle.

« Pourquoi est-ce que l’enfant né d’une GPA [grossesse pour autrui] n’a pas le même nombre de semaines que tous les autres enfants ? Ça n’a pas de sens. C’est discriminatoire […]. On veut un traitement égalitaire », poursuit Mona Greenbaum.

La directrice générale de la Coalition des familles LGBT+ a d’ailleurs bon espoir que des modifications en ce sens voient le jour avant la fin de l’année. Déposé au printemps dernier, le projet de loi 2 sur la réforme du droit de la famille prévoyait encadrer la grossesse pour autrui et accorder le même nombre de semaines de prestations du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) à tous les nouveaux parents.

Le volumineux projet de loi, comportant quelque 360 articles, a toutefois été scindé en deux. L’encadrement de la grossesse pour autrui a été repoussé.

Au ministère de la Justice, on indique qu’il est toujours dans l’intention du ministre Simon Jolin-Barrette de déposer un projet de loi sur le sujet, sans toutefois préciser de date.

« Il s’agit d’un processus de procréation qui existe et qui est utilisé au Québec, sans toutefois être reconnu et encadré légalement, ce qui peut placer les enfants qui en sont issus dans une position de vulnérabilité. Notre objectif est d’assurer la protection à la fois des droits des enfants issus d’une grossesse pour autrui ainsi que ceux des mères porteuses », écrit le Ministère dans un courriel envoyé à La Presse.

Un autre combat

Le combat des familles qui ont recours à la gestation pour autrui ressemble à celui qu’ont mené pendant des années les parents adoptants, souligne Isabel Côté, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux.

« Les parents adoptifs se sont plaints énormément de ça avant que la loi ne change et qu’ils puissent avoir plus de temps avec leur enfant. […] Les enfants nés d’une GPA se retrouvent aux prises avec ces mêmes enjeux-là. »

La professeure de l’Université du Québec en Outaouais rappelle que si le RQAP a été mis sur pied, c’est pour « permettre aux enfants de grandir avec leurs parents comme premier port d’attachement lors de leur première année de vie ».

« Il faut que, nonobstant les circonstances de leur naissance, les enfants puissent en profiter », croit-elle.