« Si vous le construisez, ils viendront », entend Kevin Costner dans le classique Champ de rêves sorti sur les écrans en 1989. Le personnage incarné par Kevin Costner, Ray Kinsella, entreprend ensuite de construire un terrain de baseball au beau milieu d’un champ en Iowa. Cette métaphore résume le développement des villes du Québec depuis cette époque : des quartiers entiers ont poussé dans des champs ou des milieux naturels et des centaines de milliers de personnes s’y sont installées.

Au cœur de ce phénomène se retrouve une dynamique bien connue partout en Amérique du Nord et qu’on résume par l’expression « drive until you qualify », c’est-à-dire que pour accéder au rêve légitime d’être propriétaires, les jeunes ménages doivent s’établir toujours plus loin du centre de la ville, là où les prix sont plus abordables. Sous une apparence de liberté de choix se cache en fait une absence de choix : les jeunes ménages sont forcés d’adhérer au seul modèle offert, vivre toujours plus loin, posséder une voiture par adulte, et passer chaque jour plus de temps dans le trafic qu’en famille. Le ménage québécois moyen consacre aujourd’hui 20 % de son revenu disponible au transport, plus qu’à l’alimentation (16 %) et à peine moins qu’au logement (24 %).

À l’échelle urbaine, cette tendance lourde a nourri l’étalement urbain et renforcé la dépendance à l’automobile, ce qui fait en sorte que le parc automobile croît à un rythme deux fois plus rapide que la population dans le Grand Montréal, où la congestion routière est devenue endémique. Les observations récentes tendent à démontrer que le télétravail exacerbe le problème en permettant aux nouveaux propriétaires de s’établir encore plus loin. Si 70 % des enfants allaient à l’école à pied en 1975, ils ne sont plus que 30 % aujourd’hui. On est loin de l’époque où les enfants rentraient dîner à la maison le midi. Aujourd’hui, ils restent au service de garde jusqu’à 18 h, pendant que leurs parents stressent dans les bouchons de circulation.

Le Québec vit présentement trois crises simultanées : une crise du logement, et plus particulièrement de son abordabilité, une crise de la mobilité, avec un réseau routier sursaturé et un parc automobile qui ne cesse de croître, et une crise climatique, nourrie par l’explosion des émissions dans le secteur du transport. Ces trois crises systémiques peuvent être en grande partie résolues en changeant de paradigme dans le développement de nos villes, et en offrant enfin une véritable solution au « drive until you qualify ».

De plus en plus de voix s’élèvent pour repenser la manière dont nous développons nos villes, et passer d’une courtepointe de projets disparates et de tours à condos anonymes le long de nos autoroutes à la planification de véritables milieux de vie abordables, desservis par les transports collectifs et bénéficiant de services de proximité.

Parmi elles, celle du maire de Laval, Stéphane Boyer, mettait récemment au jeu une proposition de quartier sans voiture dans un livre publié en septembre 20221. La proposition, qui aurait été jugée farfelue il y a à peine quelques années, a été reçue avec grand intérêt, dans l’une des villes les plus dépendantes de l’automobile au Québec.

Une autre de ces voix est celle de Laurence Vincent, du groupe Prével, qui a la profonde conviction qu’il est possible de bâtir des milieux de vie complets, mixtes, abordables, dotés de services de proximité, de parcs, de verdure, d’espaces de rencontres2. Des milieux de vie sobres en carbone et résilients, où la qualité de vie est supérieure à celle de ces quartiers mornes et anonymes où la voiture est reine. En construisant ces milieux, on ne fait pas que développer un quartier, on fait naître de véritables communautés. En échangeant ensemble, il était clair pour nous que dès que nous proposerions cette option, les gens y viendraient. Le voilà, notre nouveau champ de rêve, celui qui donne vie à cette transition socioécologique à laquelle nous aspirons. Tout cela est à notre portée, mais il faut pour cela lever les obstacles financiers, réglementaires ou autres qui empêchent de réaliser ces milieux de vie.

La crise climatique n’implique pas que des sacrifices. Elle est une occasion unique de transformer nos façons de faire pour améliorer la qualité de vie des gens. On peut parier que les citoyens cesseront de résister au changement lorsqu’ils comprendront que les solutions à la crise climatique leur seront bénéfiques. Ces quartiers ne sont pas des rêves. Ils sont bien réels et peuvent être construits maintenant. Construisons-les, et les gens y vivront.

1. Lisez un compte rendu de l’essai du maire de Laval 2. Lisez la chronique de Laurence Vincent Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion