« Nous, les environnementalistes, avons commis une erreur dans le cadre de la conversation sur les changements climatiques ; nous avons parlé des dangers, nous avons parlé des conséquences, nous avons parlé de la souffrance humaine qui en résulterait et du mur vers lequel nous nous dirigions. Nous avons parlé de ce qu’il ne fallait plus faire. Mais nous avons peu parlé de l’alternative, de notre idéal, de notre mode de vie une fois la planète sauvée.

« C’est comme si un voyagiste essayait de vendre une destination en nous parlant de la longue attente à l’aéroport, des bagages qui ne se rendront peut-être pas, du visa ou du passeport que nous aurons du mal à avoir, du risque que l’avion puisse s’écraser. Si c’était le cas, il ne vendrait pas un seul voyage.

« Non, il nous parle plutôt de la plage magnifique, du sable fin, de la couleur de l’eau, de la douce brise chaude au soleil couchant. Il nous bombarde de photos de ce décor paradisiaque.

« Elle est là, l’erreur : nous avons oublié de parler de la plage. »

Il y a quelques semaines, je rencontrais Karel Mayrand pour la première fois. Ancien directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique, et maintenant à la tête de la Fondation du Grand Montréal, ce militant écologiste de la première heure me partageait sa vision du monde de demain et nous avons été surpris de réaliser que nous avions exactement la même1.

Nous nous sommes permis de rêver au monde d’après. Après les risques liés aux changements climatiques.

Ce jour où nous aurons vaincu la crise climatique et aurons sauvé la planète en adoptant un mode de vie respectueux de la nature et de la capacité de production de la terre. Comment vivrons-nous ? Notre quotidien ressemblera à quoi ?

Notre premier réflexe serait d’imaginer un mode de vie ancestral, avec notre petit lopin de terre. Nous nous nourrirons de ce que nous produisons et vivrons en autarcie au sein de notre communauté.

Évidemment, cette vision n’est plus possible. Le nombre d’habitants sur la planète ne permet plus que chacun s’approprie quelques acres pour subvenir à ses besoins individuels. C’est vrai pour l’Asie, l’Afrique et l’Europe. C’est aussi vrai pour l’Amérique et même pour le Québec.

Le mode de vie écoresponsable du futur est de développer des communautés tissées serrées, des milieux de vie complets où tout se fait à quelques minutes de marche et où nous ne sommes plus dépendants de la voiture.

Karel poursuivait : « Nous vivrions tous dans ces communautés mixtes, qui offriraient beaucoup plus d’unités d’habitation abordables, desservies par les transports collectifs et bénéficiant de services de proximité. »

Vous dire l’enthousiasme qui me submergeait en l’entendant ! Ces quartiers qui me font tant vibrer, ils existent. Et j’ai espoir de les voir se développer partout au Québec, ces petits noyaux villageois denses et habités que nous pouvons construire à l’intérieur de nos villes ou de nos quartiers existants : de la copropriété pour les premiers acheteurs comme pour les plus nantis, des logements pour tous les budgets, des commerces de proximité, des bureaux, des espaces communautaires, des lieux culturels, des parcs et de la verdure, de l’agriculture urbaine, des places publiques, des vieux, des jeunes, des familles, des habitués du quartier et des nouveaux venus. Des milieux de vie qui, bout à bout, forment une grande ville ou une grande région en étant reliés entre eux par des liens actifs et du transport en commun efficace.

Est-ce qu’on n’a pas là la plage dont Karel parle ?

Humblement, je crois que oui.

Mais pour arriver à multiplier ces noyaux d’urbanité, ça prendra un écosystème complet d’acteurs, de parties prenantes et de dirigeants motivés et ambitieux : les élus et les fonctionnaires, les développeurs, les acteurs financiers et surtout, surtout, les citoyens.

Parce qu’une plage, ce n’est pas composé que de quelques grains de sable. De même, des milieux de vie sociaux et écoresponsables au sein de nos villes, de nos banlieues et de nos régions se doivent d’être habités par la majorité.

Peut-être que seules les lois et les obligations permettent de changer certains comportements, mais je préfère croire en une destination qu’on choisira collectivement et qui sera encore plus attrayante qu’une destination soleil. On parle ici d’une qualité de vie au quotidien : un mode de vie actif, une communauté inclusive et rassembleuse, un endroit où il fait bon vivre, une vie de proximité au service des relations humaines.

Pour contrer l’étalement urbain et les crises inflationniste, climatique et d’abordabilité, les gouvernements devront investir à la hauteur des besoins et de l’urgence. Et nous, les citoyens, avons notre rôle à jouer dans cette transition socioécologique. L’environnement que nous adoptons et que nous construisons aujourd’hui sera celui de demain. Pourquoi ne pas choisir cette urbanité qui nous libère de la voiture au quotidien, nous reconnecte les uns aux autres et nous redonne le pouvoir d’être actif ? Pourquoi ne pas aspirer à prendre plaisir dans l’adaptation de nos façons de vivre ?

Je suis convaincue que nous sommes plusieurs à rêver à ce monde responsable et je me promets de nombreuses conversations avec Karel et tous ceux qui veulent rêver avec nous. Ce type de vision partagée, entre une promoteure et un écologiste, c’est ce qui me permet de garder l’espoir qu’on y arrivera collectivement… Nous ne sommes pas si loin !

1. À lire demain, un texte de Karel Mayrand inspiré de cette rencontre avec Laurence Vincent