Vous pensiez que la fermeture du chemin Roxham allait sonner la fin des discussions sur les demandeurs d’asile ?

Eh bien non.

Le Devoir nous apprenait récemment que les demandes d’asile déposées en juin au pays ont été plus nombreuses qu’en début d’année⁠1. Les chiffres de juin 2023 (10 830 demandes) atteignent même plus du double de ceux d’avant la pandémie.

Il y a de quoi être surpris. En mars dernier, Ottawa et Washington ont renégocié l’Entente sur les tiers pays sûrs. Depuis, les migrants qui se présentent au chemin Roxham en provenance des États-Unis sont refoulés au pays de l’Oncle Sam – et vice-versa s’ils arrivent du Canada.

Sauf que les demandeurs d’asile arrivent maintenant… par avion. Souvent munis d’un visa de touriste, ils atterrissent à Montréal ou à Toronto et y déposent leur demande.

Alors que les migrants qui passaient par Roxham arrivaient surtout de pays comme Haïti ou la Colombie, les nouveaux demandeurs d’asile proviennent principalement de l’Afrique et de l’Inde.

L’autre différence est que ces nouveaux arrivants entrent par la porte officielle, contrairement aux migrants de Roxham qui passaient par une voie irrégulière. C’est une avancée.

Il faut aussi rappeler que chaque demandeur d’asile doit démontrer qu’il est en danger dans son pays d’origine pour demeurer ici. Les autres voient leur demande refusée. Accueillir des gens qui ont réellement besoin d’une terre d’asile est à la fois une obligation internationale et un geste humain de la part du Canada.

Cela étant dit, le nouveau phénomène auquel on assiste suscite des questions. Parce qu’on a la malheureuse impression que la vague récente, loin d’avoir été prévue par le gouvernement Trudeau, est plutôt l’effet secondaire d’une décision discutable de sa part.

Cet hiver, Ottawa a décidé de s’attaquer à l’immense pile de demandes en attente qui s’accumulaient sur ses tablettes. C’est à saluer : on parlait alors de plus de deux millions de dossiers, toutes catégories confondues.

En juin dernier, La Presse rapportait à quel point le retard dans la délivrance de permis de visiteurs fait mal autant aux scientifiques qui veulent assister à des congrès qu’aux artistes invités dans les festivals⁠2.

Le hic : Ottawa a accéléré le traitement des dossiers… en brûlant les étapes. Pour toutes les demandes déposées avant le 16 janvier 2023, le gouvernement a renoncé à exiger des preuves que le voyageur comptait retourner dans son pays après son séjour au Canada.

Il était hautement prévisible que cela conduirait à une hausse des demandes d’asile. Or, les gens qui œuvrent à accueillir les demandeurs d’asile n’en ont pas été prévenus.

Les organismes communautaires (encore eux) se sont donc retrouvés à devoir réagir à la dernière minute avec des moyens qu’ils n’ont pas.

C’est notamment le cas à Montréal. On sait à quel point le Québec a porté un fardeau démesuré à l’époque du chemin Roxham en recevant 65 % des demandes canadiennes. Depuis que l’aéroport Pearson de Toronto est devenu une importante porte d’entrée, la part du Québec a baissé à 43 % en juin.

C’est mieux, mais tout même considérablement plus que le poids du Québec dans la fédération. Un exemple qui montre à quel point l’équation ne fonctionne pas : un nouveau centre d’hébergement destiné aux demandeurs d’asile vient d’être inauguré près du métro Sauvé. C’est bien. Mais il compte 700 lits alors qu’en juin seulement, 4620 demandeurs d’asile sont entrés au Québec !

L’accueil de demandeurs d’asile peut bénéficier à tous. La preuve : pas moins de cinq ministres actuels du gouvernement Trudeau sont arrivés au Canada en tant que réfugiés (Ahmed Hussen, Gary Anandasangaree, Soraya Martinez Ferrada, Arif Virani et Pablo Rodriguez).

Cet accueil doit toutefois être bien planifié et bien géré. Le gouvernement doit se donner les moyens d’anticiper le nombre de demandes et d’accueillir dignement les demandeurs, notamment en les répartissant sur l’ensemble du territoire.

Avec la crise migratoire mondiale, le flot de demandeurs d’asile ne se tarira pas. ll est temps d’en prendre acte et de remplacer l’improvisation et les solutions d’urgence par une véritable politique.

1. Lisez l’article du Devoir 2. Lisez « Des délais qui font mal à Montréal » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion