Vous vous souvenez du Flushgate ?

Le Québec au grand complet avait été scandalisé de voir la Ville de Montréal déverser des milliards de litres d’eaux usées dans le Saint-Laurent à l’automne 2015.

Le nom utilisé pour baptiser l’évènement (dérivé du Watergate, le scandale politique qui a coulé Richard Nixon dans les années 1970) reflétait bien la nature sulfureuse de l’affaire.

Et elle était légitime, cette indignation. Le problème, c’est que notre colère est à géométrie variable.

Un trop grand nombre de rivières à travers le Québec sont dans un état atroce depuis trop longtemps… et on ne constate pas de protestation généralisée.

Des chiffres compilés récemment par le Journal de Montréal confirment pourtant à quel point la situation est scandaleuse.

Le Québec dispose de 344 stations d’analyse situées sur divers cours d’eau. Et ce qu’on apprend, c’est que 53 % de ces stations indiquent que les cours d’eau sont « en mauvais ou en très mauvais état ».

Il y a plusieurs coupables, des eaux usées aux sels de voirie en passant bien évidemment par les pesticides et les engrais. Car sans surprise, ce sont surtout les rivières situées dans les zones agricoles de la vallée du Saint-Laurent qui sont les plus mal en point.

Dans plusieurs cas, elles sont carrément « asphyxiées ».

Le Québec dispose d’une politique nationale de l’eau depuis 2002. On avait à l’époque promis de « réduire les risques pour la santé et de faire reculer la pollution de l’eau ».

Globalement, des progrès ont été faits et d’autres s’annoncent (on mentionne entre autres, à Québec, la démarche de modernisation sur les exploitations agricoles lancée l’an dernier).

Le problème, c’est que ces progrès demeurent encore largement insuffisants. Le bilan de santé de nos rivières en est une preuve évidente.

Il y a quelques années, notre journaliste Daphné Cameron avait fait le triste portrait1 de l’une des rivières asphyxiées : la Chibouet, en Montérégie.

Une rivière « aux horreurs » où le ministère de l’Environnement avait détecté entre 21 et 27 pesticides différents et où le seuil de la qualité de l’eau nécessaire à la protection des espèces qui s’y trouvent était presque toujours dépassé.

Selon les données analysées par le Journal de Montréal, la situation n’a pas vraiment changé. Même qu’on a détecté 29 pesticides différents dans cette rivière l’an dernier.

Pourquoi ? C’est un secret de Polichinelle : on manque de volonté politique pour redresser la barre avec assez de vigueur.

Un exemple – parmi d’autres – de la mollesse de Québec : on a appris le printemps dernier que le gouvernement Legault accordait aux agriculteurs un « délai de conformité » de quatre ans avant de les contraindre à protéger les cours d’eau à l’aide de bandes végétalisées et à traiter les eaux usées qui proviennent du lavage des fruits et légumes.

On ne parle même pas, ici, de l’interdiction d’utiliser des pesticides. On parle d’agir en aval, avec une méthode éprouvée, pour limiter les contaminants qui se retrouvent dans les cours d’eau.

Un problème fondamental, c’est que Québec ne se donne pas d’obligation de résultat en matière de protection de l’eau.

La Fondation Rivières a récemment mis en évidence cette lacune, exhortant le gouvernement caquiste à se donner des objectifs, pour ensuite chiffrer et mesurer les effets de ses approches.

Dans un mémoire présenté en mai dernier lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 20 – instituant le Fonds bleu –, elle déplorait aussi que l’argent qu’on investit à Québec chaque année pour la protection de l’eau ne représente qu’une fraction de la somme rendue nécessaire par « l’ampleur des problèmes à résoudre ».

En somme, des solutions, il y en a. Mais à Québec, on hésite encore à prendre le taureau par les cornes.

Notre or bleu fait notre fierté. Il est désespérant de constater, année après année, qu’on tarde à agir en conséquence.

1. Découvrez le reportage de Daphné Cameron  Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion