Entre deux champs, on voit souvent des fossés. Ils charrient les eaux de ruissellement agricoles jusqu’aux rivières et aux fleuves. Malgré tous les efforts de réduction des intrants superflus, ces eaux peuvent contenir des contaminants, par exemple des pesticides.

Un chercheur de l’École de technologie supérieure (ETS) vient de concevoir un filtre qui pourrait décontaminer ces eaux agricoles avant qu’elles n’arrivent aux cours d’eau.

« On placerait le filtre au bout du fossé, avant qu’il se déverse dans un cours d’eau », explique Mathieu Lapointe, qui a décrit le principe de son filtre en avril dans la revue Nature Water. « Le filtre contient des molécules qui attirent les contaminants, en particulier les pesticides et le phosphore. Il suffirait de laver le milieu filtrant une ou deux fois par année. On est en train de voir comment le laver, par exemple à quel pH. »

PHOTO FOURNIE PAR MATHIEU LAPOINTE

Mathieu Lapointe avec son prototype. À gauche, l’eau contaminée, au centre, les milieux de filtration et, à droite, l’eau purifiée.

M. Lapointe a testé son idée en laboratoire avec des eaux agricoles récoltées sur les bords de la Yamaska. Il a aussi conçu un prototype qui sera testé plus tard cet été, en collaboration avec l’Union des producteurs agricoles (UPA).

Innovation « pertinente »

« L’innovation de M. Lapointe est très pertinente et très prometteuse pour le monde agricole comme municipal », explique Julien Pagé, vice-président à la Fédération de l’UPA de la Montérégie. « Idéalement, les intrants restent dans le champ. L’agriculture coûte cher, alors on veut avoir les bonnes doses. Mais il peut y avoir du lessivage des sols lorsqu’il y a de l’eau de ruissellement. On n’a pas beaucoup de contrôle sur les fortes pluies. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Un ruisseau se déverse dans la rivière Yamaska après avoir traversé des champs agricoles de la région.

Dernièrement, un resserrement de la réglementation sur les eaux de ruissellement agricoles a été envisagé par le gouvernement caquiste, puis a été repoussé de quatre ans.

Le type de traitement des eaux de ruissellement agricoles n’était pas précisé. Mais tout le monde sait qu’un traitement qui va éliminer ces molécules sous le radar, comme les pesticides, sera requis prochainement. Alors les acteurs du milieu agricole et municipal se préparent.

Mathieu Lapointe, chercheur à l’École de technologie supérieure

L’un des obstacles actuels, selon M. Lapointe, est qu’il y a très peu de laboratoires réellement capables de détecter les pesticides dans l’eau, et qu’ils sont surtout situés dans les universités.

Le défi de traiter l’eau à Saint-Hyacinthe

M. Lapointe travaille aussi avec l’usine de traitement de l’eau potable de Saint-Hyacinthe, qui prend son eau dans la Yamaska. « C’est une usine qui doit déjà traiter de l’eau où il y a beaucoup de pollution agricole. Ils sont conscients du problème des molécules qui sont, pour le moment, sous le radar, par exemple les pesticides et les autres contaminants agricoles. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le chercheur Mathieu Lapointe testant sa technologie près de la Yamaska

Une visite à l’usine de Saint-Hyacinthe permet de constater le défi de la pollution agricole. « Prendre l’eau du Saint-Laurent, par exemple, comme source d’eau potable ne nécessite pas beaucoup d’efforts », indique Alexandre Lamoureux, directeur du génie à Saint-Hyacinthe. « À Saint-Hyacinthe, on a des défis particuliers. La Yamaska, où on a notre prise d’eau, a beaucoup de turbidité, avant même la pollution agricole. »

La turbidité est une mesure de la clarté de l’eau. La Yamaska a une moyenne allant de 8 à 15, avec des pointes à plus de 300. Le fleuve Saint-Laurent a une turbidité moyenne de 3 à 5 et des pointes entre 10 et 15.

L’usine de Montérégie est l’une des rares au Québec à combiner les traitements par charbon activé, ozone et ultraviolets (UV), selon M. Lapointe. « Saint-Hyacinthe a aussi plusieurs points d’injection pour le charbon, l’ozone et le chlore, pour plus de flexibilité. Dans le sac de golf du traitement de l’eau, Saint-Hyacinthe a probablement tous les bâtons. »

Taux élevés de pesticides dans la Yamaska

En 2019, une étude de l’Université de Montréal publiée dans la revue Environmental Pollution avait fait état de taux élevés de certains pesticides dans la Yamaska et d’autres rivières de régions agricoles du Québec.

Le directeur général adjoint de Saint-Hyacinthe, Charles Laliberté, précise que les pesticides « sont un sujet de préoccupation majeure de la population ». En plus des prélèvements hebdomadaires pour s’assurer de la qualité de l’eau, Saint-Hyacinthe procède quatre fois par année à des analyses plus poussées pour détecter notamment des pesticides. Les résultats sont toujours sous les normes.

« On élimine probablement une partie des pesticides par ozonation, dit François Tremblay, superviseur à l’usine. On est une des villes pionnières. »

La capacité de l’usine de Saint-Hyacinthe a été triplée en 1989 et une « mise aux normes », avec notamment un traitement par UV, a eu lieu en 2018-2019. Plus récemment, le chlore gazeux a été remplacé par du chlore liquide, à cause du risque de fuite.

Une version précédente de ce texte indiquait que M. Lapointe a décrit son filtre dans Nature.

En savoir plus
  • 1647 nanogrammes par litre
    Quantité de glyphosate, un herbicide, dans la Yamaska en juillet 2017, près du Saint-Laurent
    SOURCE : Environmental Pollution
    800 nanogrammes par litre
    Seuil de protection de la vie aquatique pour le glyphosate, selon le Conseil canadien des ministres de l’Environnement
    SOURCE : Environmental Pollution