La pénurie d’eau, ce n’est pas seulement en Arizona ou au Nevada. Le village de Saint-Antoine-de-Tilly, dans Chaudière-Appalaches, manque tellement d’or bleu qu’il s’apprête à exproprier une ferme afin d’y creuser un puits pour alimenter la localité. Une décision à laquelle s’oppose la famille d’agriculteurs qui en est propriétaire et qui soulève plusieurs questions.

« C’est quand même une grosse quantité qui [nous] manque, lance Richard Bellemare, le maire du village de 1700 habitants. S’il y a un incendie ou même si quelqu’un veut prendre une douche, il n’y a pas assez d’eau. »

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Saint-Antoine-de-Tilly n’est pas en mesure de répondre à la demande d’eau de ses citoyens lorsque la consommation est à son plus fort.

Saint-Antoine-de-Tilly est en mesure de fournir 673 m⁠3 d’eau par jour. Lors des pics de consommations la demande atteint jusqu’à 1100 m⁠3. La municipalité doit parfois importer de l’eau, par camions-citernes, de la ville de Québec qui se trouve à 40 km. Rien en 2022, mais l’année précédente, huit livraisons ont été nécessaires.

Le Saint-Laurent longe pourtant le petit village, parmi les plus beaux du Québec. Mais il y a un problème : la municipalité ne peut pas puiser à cet endroit parce qu’elle y déverse ses eaux usées, affirme le maire. L’eau n’est pas d’assez bonne qualité et la pomper et la traiter coûterait des dizaines de millions de dollars. « Cet inconvénient n’est pas présent lorsqu’on puise de l’eau souterraine », dit M. Bellemare.

Pour avoir accès à des subventions du ministère de l’Habitation, la municipalité travaille en parallèle à assainir ses eaux usées et à trouver de l’eau potable pour subvenir à ses besoins. Entre 2006 et 2014, 15 tranchées et 10 forages exploratoires ont été effectués.

« Toutes ces recherches ont permis de trouver un seul puits qui donnerait de l’eau de bonne qualité et en bonne quantité », laisse tomber M. Bellemare, en entrevue téléphonique.

Cette source d’eau, elle se trouve directement sous les terres de la ferme familiale Marijoli, qui élève des bœufs, des porcs et des poules afin de vendre la viande et les œufs à la ferme et dans les marchés.

« C’est toute une histoire ! Ça créerait un précédent », explique Denis Paquet, président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de Lotbinière-Nord, qui craint que le cas de Saint-Antoine-de-Tilly n’ouvre la porte à d’autres villes qui voudraient exproprier des fermes pour leur eau.

Les producteurs-propriétaires Véronique Letendre et Jérôme Lizotte ont reçu une offre d’achat pour la parcelle de terre autour du puits, en mars dernier. La moitié de leur érablière deviendrait municipale si le projet se concrétise.

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Véronique Letendre sert une cliente.

On a refusé, parce que c’était une offre complètement ridicule. C’était une offre que personne n’aurait acceptée.

Véronique Letendre, copropriétaire de la ferme Marijoli

« Ce qui me choque, c’est qu’ils ne prennent pas en considération la perte de valeur de mon terrain. Le puits n’est pas dans le fond du champ. Il est en façade du terrain, à 45 m de ma maison », dénonce la femme qui élève cinq enfants (bientôt six) sur la ferme. Elle ajoute que la Ville aurait eu la possibilité d’acquérir le lot convoité, puisque la ferme a été en vente pendant près de deux ans, entre 2013 et 2015, avant que le couple Letendre-Lizotte ne l’achète.

Ce qui inquiète la ferme Marijoli par-dessus tout, c’est que les autorités voudront protéger l’eau pour éviter une contamination. Les deux producteurs savent déjà qu’ils devront déplacer leur grange à leurs frais à 100 m du puits, car celle-ci sert d’entreposage à des pesticides.

Mais d’autres questions restent en suspens, affirme Véronique Letendre. Est-ce que la source d’eau traverse la ferme ? se demande-t-elle. « On s’obstine avec la municipalité […]. Ils disent que ça ne change rien, mais l’Environnement, eux, est-ce qu’ils vont nous permettre d’avoir des vaches si la source passe [sous la ferme] ? », se demande-t-elle.

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La grange, dans laquelle des pesticides sont entreposés, devra être déplacée à 100 m du puits. Mais quel sort sera réservé aux vaches ?

« Mes vaches, elles sont à l’extérieur à temps plein, même en hiver. Est-ce qu’on va me demander de les garder dans l’étable ? […]. Si je mets des cochons à 30 m du puits, est-ce qu’on va vraiment me dire que c’est correct ? », ajoute-t-elle, tout en gardant espoir que la municipalité trouve une nouvelle solution.

« Sacrifier une ferme »

La Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) doit trancher d’ici l’automne sur le changement de zonage demandé par la municipalité. L’UPA s’oppose catégoriquement au projet de puits et a fait parvenir un avis défavorable à la CPTAQ.

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La fromagerie Bergeron est le principal consommateur d’eau à Saint-Antoine-de-Tilly.

La Fondation Rivières s’interroge également sur la répartition de la consommation d’eau à Saint-Antoine-de-Tilly : 44 % de la précieuse ressource sert en fait à la fromagerie Bergeron.

Aussi, étant donné le débit du fleuve, le village pourrait très bien y puiser son eau en étirant un tuyau au large, soutient l’organisme. Mais cette solution coûterait plus cher qu’exproprier une ferme, convient André Bélanger, directeur général de la Fondation.

« La décision qui a été prise, c’est de sacrifier une ferme. C’est un choix. Mais ce choix est-il durable ? », se questionne-t-il.

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André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières

Ce puits servira combien de temps ? S’il s’assèche, est-ce qu’il faudra exproprier une autre ferme dans cinq ou dix ans ? Ce cas pose des questions d’aménagement du territoire absolument cruciales.

André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières

Et si le manque d’eau est si criant à Saint-Antoine-de-Tilly, le village doit faire une croix sur le développement immobilier, soutient André Bélanger. Comme l’a fait Saint-Lin–Laurentides, qui s’est avéré un précurseur en la matière, il y a un an.