« Un mojito avec du VRAI rhum. Prêt à boire. Exclusivement à la SAQ. »

Les panneaux publicitaires ont été déployés à la station Berri-UQAM récemment, là où des milliers de paires d’yeux ne peuvent les rater. Y compris ceux de nombreux mineurs et d’usagers du métro aux prises avec des problèmes d’alcool à divers degrés.

On y vante aussi les palomas avec de la VRAIE téquila. Et les Caesars avec de la VRAIE vodka.

Pas de quoi écrire à sa mère, direz-vous. C’est vrai. Les pubs d’alcool sont aujourd’hui omniprésentes et on ne les remarque plus. Elles sont sur les abribus, dans les circulaires, dans les offres personnalisées poussées par votre carte Inspire.

Pendant le Grand Prix, c’est en vert Heineken que de grands pans de l’intérieur de la station Berri ont été peints.

De telles offensives publicitaires devraient pourtant susciter des questions, surtout lorsqu’elles proviennent de l’État québécois. Et quoi de mieux qu’un week-end de la Saint-Jean, alors que de nombreux Québécois lèvent joyeusement le coude, pour y réfléchir ?

Le moment est d’autant plus propice à la réflexion que la SAQ a un nouveau président. Jacques Farcy arrive de la Société québécoise du cannabis (SQDC), où les choses se déroulent de façon très différente.

Contrairement à la SAQ, la SQDC n’a aucun mandat commercial. Son objectif est la protection de la santé des consommateurs. Elle n’est autorisée à faire aucune forme de publicité.

On ne demande pas à M. Farcy d’aller aussi loin. Mais s’il pouvait faire migrer un peu de l’esprit de sobriété qui règne à la SQDC vers la SAQ, c’est toute la société québécoise qui en bénéficierait.

Il est en tout cas impératif de placer le bien-être des Québécois au cœur des décisions de la SAQ. Pour l’instant, son mandat commercial force des compromis – la société d’État parle d’un « équilibre » – entre santé et rendement financier.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Succursale de la SAQ à Montréal

Or, cette idée même de rendement financier est une vaste illusion. Parce qu’une société ne s’enrichit pas avec l’alcool.

Problèmes de santé, perte de productivité, frais liés au système de justice : chaque année, au Québec, la facture des méfaits provoqués par l’alcool dépasse 3 milliards de dollars, selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.

C’est plus que le tabac. Beaucoup plus que des drogues comme la cocaïne ou l’héroïne. Cela surpasse aussi les bénéfices financiers générés par la vente d’alcool. L’an dernier, à titre de comparaison, la SAQ a engendré 1,4 milliard de profit.

À cette vision purement économique, il faut ajouter les impacts sociaux. L’alcool est impliqué dans plus de la moitié des cas de violence sexuelle, pour ne nommer qu’un exemple.

Dans ce contexte, il faut se demander pourquoi le gouvernement québécois va au-delà de son rôle de gérer la demande pour l’alcool et incite ses citoyens à consommer du rhum et de la téquila à coups de réclames publicitaires.

En 2021-2022, la société d’État a dépensé 10 millions de dollars en marketing. C’est certes moins que les 28 millions enregistrés en 2015-2016. Mais depuis le programme Inspire, la publicité de la SAQ est mieux ciblée et donc plus efficace.

La SAQ se défend en disant que la consommation d’alcool est stable au Québec et qu’elle ne cherche pas à l’augmenter. La société d’État vise une augmentation de ses ventes de 2 % par année, mais en revenus et non en volume.

On peut trouver cela rassurant. Mais rien dans la loi constitutive de la SAQ ne vient baliser ces objectifs ou encadrer le marketing fait par la société d’État. On se souvient du « virage commercial » opéré par la SAQ au tournant des années 2000, à l’époque où elle était dirigée par Gaétan Frigon. Rien n’empêcherait un futur gouvernement de voir à nouveau la SAQ comme une vache à lait et de hausser ses objectifs de vente.

Même les employés de la SAQ incitent ses dirigeants à en faire plus pour la protection du public. S’ils affirment être sensibilisés à l’interdiction de vendre aux mineurs et aux clients en état d’ébriété, ils déplorent ne pas avoir la formation pour discuter des risques des produits qu’ils vendent avec leurs clients.

Encore ici, la SQDC pourrait servir de modèle.

Le syndicat des employés de la SAQ dénonce aussi le développement des « agences SAQ » dans les dépanneurs, par exemple, où ce sont souvent des employés mineurs qui se retrouvent à vendre de l’alcool aux clients. C’est effectivement préoccupant.

Dans une société où l’usage de la plupart des drogues est tellement tabou que leurs usagers se retrouvent stigmatisés, il est fascinant d’observer à quel point la consommation d’alcool, elle, est banalisée.

La SAQ participe à cette banalisation. La seule façon de renverser la tendance est d’inscrire la santé des Québécois comme seule et unique mission de la SAQ.

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