On ignore encore de quoi aura l’air le mandat de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec, mais on sait une chose : le nouveau PDG ne passera pas les cinq prochaines années les pieds sur le bureau, à regarder calmement l’eau couler dans les barrages.

D’abord parce que la zénitude ne fait pas partie des traits de caractère de ce bourreau de travail, connu pour son tempérament sanguin.

Mais ensuite et surtout parce qu’il prend la gouverne d’Hydro-Québec à un moment crucial de son histoire. Alors que le Québec amorce sa transition énergétique, la société d’État est appelée à devenir la colonne vertébrale de cette transformation.

Il n’est pas exagéré de dire qu’Hydro-Québec devra se réinventer. Les consultations sur l’énergie qui viennent de débuter lancent un peu le bal.

En tant qu’architecte de cette mutation, M. Sabia devra rester ouvert aux nouvelles idées, en évitant toute approche dogmatique.

On entend déjà dire que le gestionnaire n’est pas l’homme de la situation parce qu’il n’a aucune expertise en énergie. Rappelons-nous qu’on lui reprochait de ne rien connaître en gestion d’actifs lorsqu’il a pris la tête de la Caisse de dépôt, en 2009. Il a su confondre les sceptiques.

Hydro-Québec ne manque pas d’ingénieurs, pas plus que le Québec ne manque d’experts en énergie. Le rôle de M. Sabia sera de les écouter et de les mobiliser.

Voici quelques-uns des grands chantiers qui attendent cet ancien haut fonctionnaire :

Multiplier les électrons

Nos surplus d’électricité fondent comme neige au soleil et il faut rapidement développer de nouvelles capacités de production pour décarboner les transports, le chauffage et les procédés industriels. Il est déjà acquis que les éoliennes se multiplieront dans le paysage. Faut-il construire en plus de nouveaux barrages ? Le gouvernement Legault a un parti pris favorable pour l’énergie hydroélectrique, qui a l’immense avantage de pouvoir être modulée selon nos besoins. Des experts prétendent pourtant qu’en gérant différemment notre énergie, on pourrait se passer de barrages supplémentaires. Michael Sabia devra analyser les choses froidement, sans a priori, et faire contrepoids au gouvernement si nécessaire. On n’inonde pas des milliers de kilomètres carrés pour le simple plaisir des élus.

Retaper le réseau

Dire que le réseau d’Hydro-Québec tient avec de la broche serait grossièrement exagéré, mais la vérificatrice générale a montré en décembre dernier à quel point il est fragile. Les Québécois en ont eu une illustration bien concrète en avril dernier, quand le verglas a provoqué des pannes de plusieurs jours à Montréal et ailleurs. Hydro-Québec a un plan pour moderniser ses infrastructures, mais il se déploie beaucoup trop lentement. On ne va à la guerre avec des tire-pois et on ne fait pas une transition énergétique avec un réseau défaillant. Voilà une priorité claire pour Michael Sabia.

L’efficacité énergétique, du mythe à la réalité

Au Québec, les gains d’efficacité énergétique sont un peu comme le monstre du lac Memphrémagog : on en parle, mais on n’en a jamais vu la couleur. Michael Sabia devra transformer la légende en réalité. Hydro-Québec visait auparavant des gains trop modestes de 8 TWh. Elle dit maintenant vouloir s’approcher de 25 TWh. C’est positif, mais certains experts prétendent qu’on pourrait faire encore plus. À mesure que nos coûts de production augmentent, les kilowatts économisés seront de plus en plus rentables à aller chercher. Ces mêmes experts préviennent toutefois qu’il faudra passer par la réglementation pour faire des gains importants. On souhaite que Michael Sabia ose défendre une telle approche auprès du gouvernement.

Arbitrer les mégawatts

Utiliser nos mégawatts pour attirer des entreprises ou pour accélérer la transition énergétique ? Entre l’ancienne PDG d’Hydro-Québec Sophie Brochu et le ministre Pierre Fitzgibbon, le courant ne passait visiblement plus à ce sujet. Or, avec la fin des surplus en vue, la question risque d’être exacerbée. Pour chaque mégawatt, il faudra se demander s’il vaut mieux le diriger vers l’exportation, la décarbonation ou le développement économique. Michael Sabia devra peser les gains environnementaux, sociaux et économiques – et, encore une fois, ne pas craindre de contredire les élus au besoin.

Intégrer la recherche

On a tendance à considérer Hydro-Québec comme un producteur et un distributeur d’électricité, mais c’est oublier sa capacité de recherche. L’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ) compte 500 employés, sans compter les travaux qui se font dans les universités et ailleurs. Or, cette recherche ne se déploie pas pleinement sur le terrain. Réseaux intelligents, stockage d’énergie, électrification des procédés : on a pourtant besoin de solutions innovatrices dans plusieurs domaines. Un beau legs de Michael Sabia serait de stimuler cette recherche et, surtout, d’y faire une place dans les opérations.

Tisser la toile d’araignée

Il peut venter en Nouvelle-Écosse sans qu’il vente au Québec. Et il peut faire beaucoup plus froid au Saguenay qu’à New York. Voilà pourquoi il est souhaitable que le Québec tisse des interconnexions avec ses voisins. L’avantage pour la province, c’est d’importer à bas prix quand il y a des surplus ailleurs, et d’exporter à fort prix quand la demande explose chez les voisins. La Boucle de l’Atlantique, qui doit renforcer les connexions entre le Québec et les Maritimes, est sur la table depuis (trop) longtemps. Hydro-Québec doit pousser pour connecter sa toile aux autres.

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