Des spécialistes en matière de transition énergétique s’inquiètent de l’arrivée de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec. Ils jugent que l’ancien patron de la Caisse de dépôt ne dispose d’aucune « compétence particulière » pour relever les défis imposants qui attendent la société d’État dans les prochaines années. Le milieu économique, lui, salue le « parcours brillant » du principal intéressé.

« Pour moi, l’enjeu est que M. Sabia reste d’abord et avant tout un financier, alors qu’on a devant nous un enjeu de transition qui est très technique. On aurait eu besoin de quelqu’un qui comprend en profondeur le système énergétique, qui maîtrise les technologies et les investissements requis », affirme le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau.

Celui qui est aussi professeur de physique à l’Université de Montréal déplore de surcroît que Michael Sabia « n’a jamais réellement mené une compagnie technologique ».

Il y a toute une différence entre son passé et le rôle qu’il va devoir mener ici. Hydro-Québec est appelée à se transformer, à devenir beaucoup plus capable de prendre des risques et à transformer son approche.

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal

Aux yeux de M. Mousseau, l’arrivée de M. Sabia n’est tout simplement « pas une bonne nouvelle ». « Ce n’est pas quelqu’un qui a déjà fait des transformations environnementales de très haut niveau. Il a pris la Caisse de dépôt, il l’a retournée, mais c’était dans un tout autre champ de compétences. Je ne suis pas vraiment convaincu que ce soit la bonne personne », insiste encore le spécialiste.

Un « allié du milieu économique »

Dans le milieu économique, on a plutôt salué mardi l’arrivée de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec. Le président et chef de la direction du Conseil du patronat, Karl Blackburn, a parlé d’un « choix judicieux pour reprendre les rênes d’une société d’État en pleine transformation ».

Avec un parcours aussi brillant que celui de M. Sabia, nul doute qu’il saura répondre aux défis actuels et futurs de l’organisation. Ce sera un allié du milieu économique, j’en suis certain.

Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat, dans une déclaration

En entrevue, M. Blackburn rétorque aux plus sceptiques « qu’il est aujourd’hui faux de prétendre que les finances sont dissociées de la transition énergétique ». « Plus que jamais, ils doivent être ensemble. Partout dans le monde, on le voit : les finances et la transition font maintenant partie du discours économique », plaide le gestionnaire, qui se dit « convaincu que M. Sabia saura trouver les bons mots » pour faire comprendre aux Québécois « la nécessité de changer nos comportements ». « Le passé sera garant de l’avenir », lance encore le président du Conseil du patronat.

Sur Twitter, le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) a également parlé d’une « très sage nomination ». « Michael Sabia a démontré qu’il est intègre, compétent et fin stratège. Il s’entoure d’équipes fortes. Il a l’envergure qu’il faut pour ce poste névralgique. Il donne des résultats », a-t-il jugé.

Des risques à éviter

De son côté, Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, est aussi préoccupé. « Michael Sabia n’a pas de compétences particulières en énergie. Ça va être tout un défi, parce qu’en réalité, rien ne le prépare aux défis dans le secteur de l’énergie. La courbe d’apprentissage va être très grande pour lui », illustre-t-il.

Le principal danger, poursuit M. Pineau, est que l’ancien patron de la Caisse « arrive avec une grande confiance et peu d’humilité ».

Ça pourrait être risqué d’arriver avec une certaine arrogance, parce que contrairement à la Caisse de dépôt, Hydro-Québec a des fonctions opérationnelles au quotidien. Il faut avoir une vision à long terme, mais en même temps très présente. On est complètement ailleurs.

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Selon lui, ce n’est pas « la capacité à lever des milliards » qui aurait dû intéresser le gouvernement dans sa sélection du prochain PDG d’Hydro-Québec, mais bien sa capacité d’innover pour « sensibiliser les Québécois » aux défis de transition qui guettent la province. « Aller chercher des milliards, gérer des finances, en fait, c’est la dernière capacité dont on a besoin en ce moment », ajoute Pierre-Olivier Pineau, qui ne demande toutefois qu’à être « surpris ».

Les écologistes, eux, demeurent aussi sur leurs gardes. « Ce dont on a besoin, c’est davantage un spécialiste de la décarbonation et de la transition énergétique. On espère au moins que M. Sabia va consulter au maximum l’expertise à l’interne », soutient un porte-parole de Greenpeace Canada, Patrick Bonin.

Son groupe dit surtout craindre une éventuelle « privatisation de l’électricité au Québec » pour laquelle M. Sabia « pourrait être mis à contribution ». « La réalité, c’est qu’il y a un virage inégalé à faire en termes d’augmentation de l’efficacité énergétique au Québec, alors qu’on voit en ce moment la fin des surplus poindre », conclut M. Bonin.