Fallait-il un expert en énergie ? Un écologiste ? Un jeune, une femme ou une personne moins associée à la finance ?

La nomination de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec (HQ) fait réagir avant même d’avoir été confirmée. Le milieu des affaires s’en réjouit, tandis que des militants et des chercheurs s’en méfient. On sent la nostalgie pour la PDG démissionnaire Sophie Brochu, à la fois charismatique et compétente – elle a fait l’essentiel de sa carrière en énergie.

Mais pour comprendre le choix de M. Sabia, la lecture de son CV ne suffit pas. Il faut regarder aussi les dossiers qui l’attendent. Il y en a un pour lequel il paraît particulièrement qualifié. C’est le plus complexe et le plus important : la renégociation du contrat de Churchill Falls avec Terre-Neuve.

Environ 16 % de l’énergie consommée au Québec provient de cette centrale. Elle est achetée à un prix dérisoire. On la paye presque 40 fois moins cher que celle qu’on vend aux États-Unis.

L’entente prend fin en 2041 et la renégociation est déjà commencée. La direction de HQ rencontre ses homologues terre-neuviens toutes les six semaines environ, me dit-on.

Les options sont nombreuses. Québec peut devancer la fin du contrat, payer plus cher ou changer la quantité d’électricité achetée – près de 90 % des électrons se rendent actuellement chez nous. La société d’État pourrait également participer à un nouveau grand barrage à Gull Island et aider la province qui croule sous sa dette en échange d’autres concessions.

Voilà le genre de dossier qui ne dépaysera pas trop M. Sabia, qui a déjà dirigé la Caisse de dépôt et placement et présidé le conseil de la Banque de l’infrastructure du Canada.

Son passage comme sous-ministre des Finances du Canada l’aidera aussi à comprendre la perspective terre-neuvienne et la nécessité d’interconnecter les réseaux de distribution du pays.

D’ailleurs, le dernier budget fédéral proposait une première : un crédit d’impôt remboursable pour la production, le transport et le stockage d’énergie propre.

Cela explique peut-être pourquoi M. Sabia ne voulait pas négocier son emploi à HQ avant le dépôt du budget Freeland. Il aurait eu l’air d’être en conflit d’intérêts.

Les caquistes ont choisi M. Sabia à cause de son « intelligence stratégique ». Il sait mobiliser ses équipes pour analyser un dossier complexe, évaluer les options et prendre des décisions difficiles.

Lors des trois derniers budgets fédéraux, c’est lui qui expliquait le document en détail aux médias au breffage technique. La transition énergétique était au cœur de sa réflexion. Les priorités étaient toutefois fluctuantes, et des mesures comme le nouveau Fonds de croissance verte n’ont pas vraiment donné de résultats.

Avec le roulement à la direction, HQ paraît déstabilisée. La démission de Mme Brochu s’ajoute au congédiement du PDG de la filiale Hilo en 2022 et au départ en 2021 du président de la division TransÉnergie. Le numéro 2, Éric Filion, a aussi quitté ses fonctions l’hiver dernier. La présidente du C.A., qui avait terminé son mandat, sera remplacée par Manon Brouillette, gestionnaire aguerrie.

Cette nouvelle équipe devra à la fois hausser la production et réduire la consommation.

Pour l’offre, le plus difficile est à venir.

À court terme, les nouveaux projets seront surtout éoliens. Trois appels d’offres ont été annoncés ou le seront bientôt, pour un total de près de 6000 MW. Ils se feront à l’intérieur du réseau de transport actuel.

Les prochains nécessiteront de construire des lignes de transport. Elles risquent de passer proche de résidences. Or, lors de la première phase du Réseau express métropolitain, M. Sabia n’avait pas montré un grand souci pour l’acceptabilité sociale.

S’il ne se soucie pas de l’humeur populaire, le projet de HQ de réunir ses filiales de production et de distribution sera plus difficile à vendre – on y verra une tentative d’échapper aux contrôles qui étaient requis à chaque étape.

Difficile aussi de prévoir ses rapports avec les Premières Nations, qui sont souvent touchées par les projets de la société d’État.

Pour la consommation, ce ne sera pas simple non plus.

Les technologies requises, comme la thermopompe, sont connues. Reste toutefois à choisir le rythme, le coût et l’endroit où on les implantera. Même chose pour le système Hilo pour réduire la demande en période de pointe comme à l’heure du souper ou lors des grands froids.

D’autres décisions, comme de nouvelles normes en efficacité énergétique pour les bâtiments, relèveront du gouvernement.

Et bien sûr, M. Sabia réfléchira avec Québec pour savoir à quelles entreprises offrir notre précieuse électricité, et à quel prix. Cette réflexion urge – le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, déposera à l’automne un projet de loi. Là encore, M. Sabia ne sera pas trop loin de sa zone de confort.

François Legault a enfin commencé à parler sérieusement d’efficacité énergétique. Il serait absurde en effet de harnacher nos rivières pour alimenter le gaspillage. On a hâte d’évaluer la fibre écologique de M. Sabia sur cet aspect.

HQ doit rendre des comptes à la Régie de l’énergie, mais l’efficacité et la sobriété n’apparaissent pas dans son mandat. Une mise à jour aiderait à encadrer la société d’État. C’est encore plus important que le CV de son dirigeant. Mais ça, c’est la responsabilité du gouvernement.

L’opposition veut entendre M. Sabia à l’Assemblée nationale. L’exercice serait intéressant, quoique d’une utilité limitée. Il ne pourrait pas parler en détail du contrat à Churchill Falls, encore en négociation, ni des contrats aux projets industriels, qui seront réévalués dans le projet de loi en préparation.

Le Parti québécois rappelle qu’en 2009, Bernard Drainville qualifiait d'« erreur historique » la nomination de cet Ontarien à la tête de la Caisse de dépôt et placement. Il aurait été plus honnête de dire que quatre ans plus tard, le gouvernement péquiste renouvelait le mandat de M. Sabia en s’avouant agréablement surpris par son travail.

Reste à voir s’il surprendra ou si son expérience limitée en énergie lui nuira. Mais en attendant, une chose doit être soulignée.

Après l’ex-gouverneur général David Johnston, voilà un autre homme qui a atteint l’âge de la retraite, qui est indépendant financièrement et qui malgré tout accepte de relever un mandat casse-gueule pour un salaire inférieur à celui qu’il ferait au privé.

C’est tout à son honneur. Mais cela n’enlève rien à la responsabilité qu’il a maintenant face à l’histoire.